Les Mondes d'Enohr ; Le Monstre de Jade -tome 1 Cycle 1- / Terminée /

Chapitre 1 : Comme à chaque levé de Soleil

Et la lumière fut.

Enfin, elle demeura. Puisqu'ici, elle ne disparaissait jamais.

Non, Erkaï n'était pas baigné d'un soleil éternel, comme celui que l'on trouvait à Titan ; simplement les teintures orangées et brunes ne décoloraient jamais le ciel. En particulier celui des Bas Quartiers, qui flottait au dessus de ma tête et prenait la forme de nuages opaques. Ils apportaient avec eux la délicieuse odeur de fumée âcre, nourrissait la pourriture et la désolation. Quelle ironie, que celle de vivre sur l'Île qui battait chaque année les records de pollution jamais enregistrés à Phoenix, alors qu'elle était peuplée d'animaux.

Bien que cette affirmation ne soit pas exactement vraie.

Nous n'étions pas des créatures sillonnant forêts et océans dans la quête de gibier : nous étions des Erkaïns, des semi-animaux doués de parole. Quant à notre forme humaine, elle avait pour défauts d'être impulsive et dépourvue de philosophie. Notre seconde peau suivait ces traits de caractère sans la moindre gêne, parfois même avec impétuosité. C'était pour cette raison que les autres îles n'entretenaient pas avec nous une relation des plus amicales, ni même correctes. Surtout depuis la fin de la Première Guerre des Trônes. Après celle-ci, lorsqu'un Ekaïn se proclama Roi de Phoenix, le peuple du nouveau souverain devint la risée de tous. De ce fait, les autres créatures qui peuplaient ce Monde leur donnèrent l'image d'animaux sauvages assoiffés de pouvoir.

En vérité, c'était ce qu'ils étaient à mes yeux. J'avais beau être comme eux un Erkaïn, je savais que mon peuple était prêt à tout pour le pouvoir et tous les trésors qui l'accompagnaient. Ce n'était pas pour rien que l'on ne connaissait aucun Erkaïn qui soit dans le commerce. Car bien sûr, sans surprise, la politique et l'art de la guerre étaient nos domaines de prédilections.

Ma mère et moi habitions ce que nous nous donnions encore la peine d'appeler « un pauvre quartier ». Honnêtement, ça n'était à mes yeux qu'un dépôt à poubelle. Les habitations n'étaient que des amas de déchets, et les fleuves de pauvres courts d'eau cramoisis. Nul besoin d'alcool ou autres produits pour s'échapper de la réalité : les odeurs des rues suffisaient à plonger dans un état second. Elles provenaient des nuages de gaz qui s'échappaient des usines militaires plus loin dans l'arrière-pays. Les choses avaient toujours été ainsi, car personne ne se souciait des habitants des Bas Quartiers. Pour cela, il faudrait déjà qu'ils sachent que la vie continuait d'y prospérer, malgré son apparence dépravée.

Bien loin sur les collines centrales, les luxueuses habitations des Haut Quartiers étaient parées d'or et d'argent. Néanmoins, le style architectural de ce monde parallèle ne différait pas beaucoup du nôtre. Nous avions nos grandes piles d'appartement à l'apparence d'œufs crasseux, arrondis sur les bords pour laisser s'écouler l'eau de pluie. On avait aménagé sur le sommet des espaces verts, devenus marrons avec le temps. Ni arbre ni fleur n'avait survécu à l'air pestilentiel des environs.

Le principe était simple : les Panda-Roux, Singes, Oiseaux et autres espèces dans le même type logeaient au sommet des piles, adaptées à leur mode de déplacement, tandis que les plus imposants conservaient des habitations à ras de la route. Cette dernière, qui n'était qu'autre qu'un fleuve qui serpentait sur toutes les allées de l'île, portait sur ses flots les rares navettes qui parvenaient jusqu'ici.

Notre logis, ou plutôt notre appartement, se résumait à trois pièces et mesurait à peine vingt mètres carrés : la chambre de ma mère, la pièce principale avec cuisine et salle de bain, et ce qu'on se plaisait à nommer "ma chambre". Je détestais cette dernière, et c'était pourquoi je passais la plupart de mes nuits dehors à traîner sur les toits. Je préférais être seul, éloigné de tous, plutôt que dans cette pièce ridiculement petite dans laquelle j'étouffais. Humide et sombre, la lumière n'avait jamais accès à cette partie de l'appartement.