Chapitre 2 : Direction l'Etoile !

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Courir ne me dérangeait pas ; j'empruntais ces sentiers tous les jours. Je connaissais mieux que personne le moindre lampadaire, la moindre personne du quartier. Tout le monde savait également que personne ne pouvait me donner un ordre sans que je me sente obligé de désobéir. Je faisais seulement ce dont j'avais envie, rien de plus.

Voilà pourquoi je n'avais nulle envie d'aller sur l'île des Étoiles, et encore moins d'entrer à Enohria. J'avais cédé aux supplications de ma mère car je savais que cela lui ferait plaisir de me voir sortir de ce trou à rat. Je m'avouais également à contrecœur que moi aussi, je rêvais de nouveaux horizons. Je n'en pouvais plus de vivre dans cette bulle de pollution brune ocre, de voir chaque jour les mêmes pâtés de piles et d'œufs dégradés.

Jamais, de toute mon existence, je n'avais pu quitter Erkaï. Le passeport pour prendre la mer ne pouvait être obtenu qu'à l'âge de vingt ans. Encore une chose dont mon peuple n'avait pas à être fier ; confiner les jeunes sur une île telle que celle-ci n'était pas la meilleure décision. Je fouillai dans ma mémoire : non, je ne me souvenais pas qu'un seul bon choix ait été fait un jour. Cependant, j'avais à présent l'âge requis, et je ne voulais pas me soucier des autres Erkaïns qui me regardaient partir avec envie.

Ainsi dus-je quitter les œufs à contrecœur, pour lourdement atterrir sur la chaussée grisâtre qui bordait le fleuve. D'épaisses parois de verre avaient été tendues au-dessus de nos truffes, soutenues par de faibles piliers. Le planning des horaires de passage de la navette se déchirait, détrempé, sur un verre délavé. Juste au devant, un banc avait été installé. Néanmoins, ce dernier donnait tout sauf l'envie de s'y asseoir, ainsi restai-je debout pour guetter l'arrivée de mon transport. Les navettes se faisaient rares dans les bas quartiers, et c'était probablement pour cette raison que je ne les prenais seulement lors d'une nécessité.

*

La navette nous déposa au port une dizaine de minutes plus tard, livrant sur la chaussée humide une puanteur ramenée des bas-fonds d'Erkaï. Je bondis hors du transport, le pelage hérissé.

— Et ton billet, tu crois qu'on va le payer pour toi ? mugit une voix grave, qui m'arracha un violent sursaut.

Je fis volte-face et me renfrognai. La Baleine me jeta un regard noir et je jetai quelques pièces dans le boitier. Elle me toisa d'un air hautain, que je rétorquai d'une oeillade mauvaise. Les Baleines avaient beau être plus petites que leurs ancêtres, elles n'en demeuraient pas moins féroces, ce pourquoi je n'insistai pas.

Je pivotai à nouveau vers le port et traversai la place de béton d'un pas morne. Il n'y avait là aucun bâtiment, simplement un cube surmonté d'un toit en pointe blanc semblable à un cabinet de toilette. A l'intérieur, le gardien du port, un sanglier maigre à l'air épuisé, somnolait. Je m'approchai, posai violemment mon passeport sur le comptoir en poussant un grognement. Il s'éveilla en sursaut, lâchant un petit cri.

— Que... Quoi... Quoi ?!

Complètement perdu, il tourna la tête à droite à gauche, avant de poser enfin ses yeux sur moi. Je relevai un sourcil, agacé, et attendis avec impatience qu'il fasse le lien entre le passeport que j'avais déposé devant ses yeux et ma présence. Ce qu'il finit par faire, au bout d'un long moment.

— Destination ? demanda-t-il le plus sérieusement possible.

— Stellarium, répliquai-je d'une voix froide.

La patte tremblante, il tamponna un papier et me le tendit avec mon passeport. Je ne le remerciai pas et m'éloignai, déjà agacé de ce début de journée. Erkai n'était donc même pas capable d'avoir un gardien de port efficace ? Je soupirai d'exaspération ; je peinais à m'imaginer l'efficacité du personnel dans les autres emplois si elle était si médiocre pour celui-ci.

Les Mondes d'Enohr ; Le Monstre de Jade -tome 1 Cycle 1- / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant