Chapitre 3 : Enohria

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Après quinze minutes de marche, j'atteignis finalement l'entrée de l'Académie d'Enohria. Elle surplombait majestueusement la rue avec sagesse et puissance, du haut de ses deux-cents marches. J'entamai donc mon ascension, d'un pas lent et régulier. Je voulais prendre le temps d'observer les alentours, d'y chercher un repère familier. Des arbres fleuris de bleu et de vert longeaient les escaliers, dansant élégamment et agitant leurs bras de bois clair vers le ciel.

Néanmoins, ce n'était rien comparé au magnifique mur d'enceinte, qu'on avait érigé comme porte d'entrée principale de l'Académie ; sillonné de colonnes couleur turquoise et corail, ses murs décorés de minuscules créatures multicolores et toutes différentes étaient teintés de beige. Les tuiles qui recouvraient le mur étaient d'un rouge vif, éclatant sous mon œil impressionné. Je trouvai que l'harmonie des couleurs dégageait une aura magique. Au sommet des portes de pierre, laissées ouvertes pour permettre aux élèves d'entrer dans le campus, étaient surmontées d'une majestueuse statue de bronze représentant un Phénix aux ailes élégamment déployées.

J'atteignis le haut des escaliers, passai la porte et fis face à la masse de créatures déversée sur toute la grande place, agitée d'un assourdissant brouhaha. Mon pelage se hérissa en vue de la diversité des espèces : il y avait là tous les peuples de Phoenix réunis en un endroit ! Deltanien, Atlantes, Akkezones, Senry, Loups, Vampires, Fées, Démons, Semi-Elfes Astrelliens, Erkaïn... j'aperçus même, amassés dans leur coin et repliés sur eux-mêmes un groupe d'Aquass et de Fishcrips. Qu'ils sont laids, songeai-je, répugné les yeux globuleux et la peau couverte de verrues de ces derniers. De la bave s'écoulait de leur immense bouche aux dents de sabre, tandis que leurs petites mains palmées étaient appuyées contre leur poitrine, comme responsables de leur dos bossu. De couleur brunâtre ou verdâtre, ils avaient beau avoir des jambes et des bras, ils n'en demeuraient pas moins de grasses créatures à tête de poisson bigleux. L'un d'eux se gratta la crête pour en tirer un filet d'eau moisie, qu'il avala aussitôt sans la moindre expression au visage.

Pris d'un haut-le-cœur de dégoût, je détournai vivement le regard et me dressai sur la pointe des pattes pour tenter d'apercevoir quelque chose de moins dégoûtant. Aussi curieux que sceptique quant à l'organisation, je me demandai pourquoi ils nous avaient tous réunis ici quand je vis qu'on avait agencé une scène juste au devant de l'édifice principal. Tandis que les derniers s'amassaient à ma suite, je pus m'approcher de l'installation pour y voir s'avancer un homme droit à la mine impassible, presque désintéressée. Il abordait un costume à queue de pie et avait soigneusement plaqué ses cheveux blonds sur son large front dégarni. Je pouvais être sûr d'une chose : il n'était pas Erkaïn.

— Bonjour à tous, déclara-t-il en s'emparant du micro face à lui.

Il promena son regard froid sur toute l'assemblée, le temps que le silence se fasse, avant de poursuivre :

— Bienvenue à l'Académie d'Enohria, l'école la plus prestigieuse de tous Phoenix. Sachez d'abord que c'est une chance inouïe pour vous d'y avoir été accepté, car Enohria est la seule institution dont la notoriété ne fait pas son prix : en effet, c'est une école gratuite ouverte aux plus grands potentiels de notre Monde. De toutes les créatures qui lèvent leurs yeux vers moi, beaucoup sont promises à un important avenir, qui sera assuré par votre apprentissage dans cette Académie.

Il se râcla un instant la gorge, non pressé, puis reprit :

— Comme le veut la tradition, le Roi va se charger de faire l'ouverture officielle de la promotion 2010, votre promotion, et ainsi en profiter pour vous exposer les règles de l'école, ainsi que vos devoirs en tant qu'élèves et les responsabilités qui sont les vôtres désormais.

Il eut un léger mouvement de menton, avant de discrètement s'éclipser pour laisser place à une silhouette massive. Elle s'avança jusqu'à la lumière sous un silence pesant, jusqu'à dévoiler une petite tête ronde écaillée de vert et de brun. Deux yeux azur balayèrent l'assemblée, plissés sous le sourire amusé que le Roi esquissait. Il soutenait sa lourde et imposante carapace à l'aide d'un bâton de bois élégamment sculpté, ajoutant à sa silhouette royale un atout princier.

— Mes chers amis, commença-t-il, et aussitôt je sentis mon pelage se hérisser : c'était là la parfaite introduction du dictateur idolâtré. Je vais vous éviter les présentations, puisque vous devez probablement tous me connaître.

Il nous sourit, et un rire léger secoua la foule. Quant à moi, je me renfrognai : le Roi ne me plaisait pas le moins du monde.

— Cette année, poursuivit-il d'une voix plus grave, vous ferez face à de plus lourdes difficultés. Vous serez sans cesse remis en question, détrompés ou même critiqués : vous êtes désormais des adultes. Ainsi la vie d'une créature d'un telle âge change radicalement, il en va de soi. C'est ce pourquoi ma tâche est de vous rappeler à quel point vos décisions sont importantes.

Il fit une courte pause, le temps de lâcher un soupire, avant de relever les yeux vers nous :

— Mais la vie n'est pas que le devoir. Profitez, tant que vous le pouvez. Riez, avant que l'instant de bonheur ne s'évapore. Avant que la vérité ne vous raccroche brusquement à la réalité.

Il balaya une foule silencieuse des yeux, lentement. Et puis, son regard s'arrêta sur moi. Il esquissa un faible sourire, ses yeux toujours plongés dans les miens, alors que je restais interdit face à ses paroles. Une chose dans mon cœur frétillait à l'entendre, gémissait de sa déclaration sans que je n'en connaisse la raison.

— Car la paix n'est jamais éternelle, murmura le vieux Roi.

Le silence s'éternisa sur la grande place, tandis que Kaï détachait enfin son regard de ma fourrure. J'eus un frisson, étrangement mal à l'aise. Il s'était produit quelque chose en moi que je ne parvenais pas à définir.

Je me secouai, agacé et frustré. En quelques coups de langue, je lissai ma fourrure hérissée et redressai les oreilles pour écouter la fin du discours du Roi :

— Enfin bref, fit-il, comme si ce court moment d'égarement n'avait jamais eu lieu. L'ensemble du campus se décompose en plusieurs parties. Chaque peuple à sa propre parcelle : un dortoir, une salle d'entraînement et le bâtiment regroupant les salles de classe. Après mon petit discours, chaque peuple se dirigera vers sa partie du campus. Pour les Erkaïns, vous serez placés dans une classe en fonction de votre espèce. Oh, et une dernière chose : si vous vous apercevez que vous avez des cours différents des autres peuples, c'est normal. Tout comme un Erkaïn ne se dirige pas vers le commerce, un Changer n'apprendra pas l'astronomie.

Il eut un sourire amusé et conclut pas un geste solennel de la patte :

— Allez, et que Akala veille sur vous.

Il s'écarta du micro sous une ruée d'applaudissements, auxquels je ne pris cependant pas parti. Les yeux plissés, les doutes m'avaient tout à coup envahis : Kaï avait déclenché un étrange sentiment en moi dont j'ignorais jusqu'ici l'existence, ce qui avait le don de m'agacer. De plus, il semblait mentir comme il respirait. Après tout, à quoi m'attendai-je de la part d'un politique ? Il n'aspirait qu'au pouvoir et à la richesse. Il voulait simplement convaincre son peuple de sa bonté et de sa générosité.

Du moins, c'était ce qu'il faisait paraître.

Les Mondes d'Enohr ; Le Monstre de Jade -tome 1 Cycle 1- / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant