Chapitre 17

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   Jolie Louve était face à un dilemme. Elle hésitait à rester discrète afin de retrouver le lieutenant et comprendre ce qui lui arrivait, ou à hurler le nom de Nuage de Nuit, dans la paisible forêt, en plein milieu de la nuit.

   La petite chatte grise soupira. C'était comme parvenir à la fin d'un sentier et de choisir entre deux passages, généralement peu rassurants. Elle décida cependant de chercher l'apprenti, pensant que son supérieur ne changerait pas de comportement du jour au lendemain, au point où il en était.

   "Nuage de Nuit !"

  Sa voix résonna vers le ciel bleu de minuit et quelques formes diffuses s'envolèrent, croassant, une pluie de plume tombant telles des flèches. La pâle lumière de la lune éclairait à peine sa route, l'air frais omniprésent fit doubler son pelage de volume. Les branches des arbres, dénudées, se transformaient en griffes ou serres prêtes à fondre sur elle et le vent jouait une musique lugubre à travers les interstices qu'offraient la nature.

   Elle déglutit. Non, cet endroit n'était définitivement pas rassurant en pleine nuit. Des images d'une petite féline courant en pleine nuit, sous la pluie, après avoir vu ce cauchemar, lui revinrent.

   Elles se firent plus intenses, plus réelles. Son cœur accéléra. Sa respiration aussi. Tout comme les battements de ses cils.
   Les bruits se firent si stridents, si forts, si cacophoniques dans ses petites oreilles qu'elle plaqua sur son crâne, espérant les atténuer. Rien ne changea. Elle crut devenir folle.

   "Non !"

   Son cri résonna vers le ciel d'encre. Des nuages la coupèrent de toute lumière, la lune et les étoiles ayant préféré ne pas faire l'expérience de ce triste spectacle. Des perles salées coulaient le long de son petit minois, elle qui était seule, perdue dans ces grands bois.

   Avançant à petits pas, la queue entre les pattes, ses yeux scrutaient la moindre ombre, ses oreilles le moindre ultrason. Un nœud dans l'estomac occupait son esprit. Esprit qui lui rappela bien vite de retrouver le chat aux yeux d'or. La prédatrice ravala la boule dans sa gorge et saisit son courage à deux mains — ou plutôt à deux pattes.

   Elle entrouvrit la gueule pour percevoir l'odeur épicée de son camarade. Elle le reconnut tout de suite. Il fallait dire que malgré les mois passées dans le clan, il semblait que leur racines domestiques leur collaient à la peau.
   Non que c'était une mauvaise chose, mais elle avait vraiment peur de ce que les autres pouvaient dire ou penser. Ils s'étaient installé il y a peu sur ce territoire, et si les relations inter-claniques étaient aussi agitées qu'un ruisseau sous la brise d'été, les rivalités reprendraient bientôt. Elle le savait, elle le sentait.

   La chasseuse commença à perdre espoir. Elle avait l'impression de tourner en rond. Peut-être devait-elle l'appeler ? Elle prit une respiration et ouvrit la gueule.
   La pisteuse cessa son action net. Un buisson, là, avait bougé. Peut-être avait-il...
 Elle se pencha, à pas feutré s'approcha du tas de végétation pour mener son inspection.

   Un poids s'écrasa sur elle. Un petit cri échappa sa gorge. Les quatre fers en l'air, elle mit un peu de temps à reconnaître la silhouette. Ironiquement, c'est lui qui l'avait trouvé.

   "Shh." L'apprenti lui intima le silence et elle perçut des petits bruits. Elle plissa les yeux. Le silence régnait dans la nuit mais ce n'était sûrement pas le moment de chasser. Elle s'apprêtait à le réprimander quand elle en reconnut l'origine. Ses orbes saphirs s'ouvrirent grandes et il recula, la laissant se relever.

   "Je ne savais pas vraiment quoi faire." chuchota-t-il

   Elle le suivit dans un pan de broussailles. Sur un muret de pierres, entassées les unes sur les autres, elle reconnut son pelage au clair de lune.

   "Houx Glacé..." murmura-t-elle sur un ton désolé

   Couché, il observait avec intérêt une maison de bipède, marmonnant et riant pour lui-même. Sa queue battait la surface froide, tournant la tête vers chaque petit écho et reculant, comme si piqué par une écharde. Jolie Louve pensa le rejoindre mais Nuage de Nuit l'en empêcha : le mâle était sur la défensive, ils ne savaient pas comment celui-ci pourrait réagir.

   En effet, leur lieutenant pourrait les attaquer ou leur mener la vie dure s'il s'imaginait avoir été suivi et observé.

   Sa figure albâtre se redressa lentement. Puis il explosa de rire, courbant son dos, ses yeux s'ouvrant plus grand comme pour capter chaque images de ce qu'il se passait devant lui, qu'importe ce que ce soit.

   Le matou s'interrompit soudainement, se releva et descendit d'un bond. La tête plus basse que les épaules, ses yeux lançaient des regards obliques, comme s'il était suivi. La paire se consulta d'un regard et partit à sa suite avec le plus de discrétion possible.

   Leurs pas de velours écrasaient l'herbe frisquette, et évitaient les brindilles comme on évite des vipères.

   Ils durent s'arrêter quand leur victime s'arrêta. La féline argent trébucha et se rattrapa sur son pauvre camarade, manquant de les faire remarquer. Ses yeux asperge examinaient une petite pousse. Une petite fleur.

   Il resta ainsi quelques instants avant de, brusquement, feuler sur un pauvre oiseau, les oreilles en arrière, les pupilles étrécies malgré le manque de lumière. Comme ils s'approchaient tous les trois de la fin du chemin, Jolie Louve prit les devants.

   En trottinant, elle fit mine se revenir d'une petit sortie nocturne avec le petit mâle. Elle dit d'une voix plus forte :
   "Oh là là, Nuage de Nuit. Quelle nuit ! Mais évites de sortir comme ça en pleine nuit."

   Elle devina la pause du quadrupède blanc et espérait que son compagnon joue le jeu.

   "Je suis désolé." s'excusa-t-il d'une voix douce, la tête basse

   Ils rentrèrent au camp sans un mot de plus, chacun dans leurs tanières respectives. Un peu plus tard, le félin fit son apparition à travers le lierre sauvage. Elle fit mine de dormir, mais ce fut plus dur que prévu. Elle ne pouvait s'empêcher de penser au petit chat, qui avait d'abord surpris sa conversation avec Geai d'Ivoire — qui était absent —, avait fui, puis lui avait permis de retrouver sa première piste. Mais ses excuses avaient l'air tellement réelles. Non, il jouait la comédie.
   N'est-ce pas ?

Présage Annonciateur - Lgdc Fanfiction  [En Hiatus pour toujours, je crois...]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant