Chapitre 1

86 10 4
                                    


Ça va faire vingt minutes que j'attends sur le quai. Il n'y en a d'ailleurs qu'un seul à la gare de Ornes, le village dans lequel j'habite. Je dois avouer que c'est un peu perdu alors sans beaucoup d'habitants ni de passage, une petite gare avec un seul quai, ça paraît assez. En fait, je ne vous ai même pas dit ce que j'attends. Enfin oui bien-sûr, j'attends un train, vous n'êtes pas bêtes. Mais plus précisément j'attends celui pour Quévin. J'ai décidé d'aller y prendre l'air aujourd'hui.

Quand on n'a pas d'ami, les vacances, au-delà de paraître longues, sont pénibles. Très pénibles. Et puis, il n'y a rien à faire ici. Alors pour une fois que mes parents m'en ont donné l'autorisation, je sors. Quévin est vraiment une jolie ville. Depuis tout à l'heure, j'imagine ce que je vais y faire. On peut se promener le long du canal mais malheureusement, ce n'est pas très sûre pour une fille seule comme moi. Au moins, il y a des magasins ; c'est intéressant. Jusqu'à un certain point. Après une heure ou deux, je me lasse vite à vrai dire et devoir faire face à mon reflet dans le miroir de la cabine est un supplice pour moi. J'ai l'impression qu'il me murmure des choses sans cesse, des choses telles que « Quelques centimètres de plus ne te ferait pas de mal... Et puis ta taille, elle n'est pas assez fine... Et ces épaules ! Elles tombent, mais relève les enfin ! ». Voilà, ça, c'est moi. Vous pouvez penser que je suis ratée, mais au moins ce que vous penserez ne sera pas totalement un mensonge...

Bref, le train devrait arriver dans 5 minutes mais un retard n'est pas rare. En arrivant, je m'étais avancée assez loin sur le quai parce que souvent, tout le monde rentre dans les wagons du milieu et se bouscule à l'intérieur. Moi, j'aime bien m'asseoir dans un wagon calme où il n'y a pas trop de monde et où on n'est pas obligé d'écouter toute la conversation téléphonique d'un autre passager. Donc, je me trouvais assez éloignée des autres personnes qui attendaient aussi sur le quai. Il n'y avait personne près de moi, enfin c'est ce que je croyais quand tout à coup, j'entendis deux voix se rapprocher. En restant assise sous l'abri, je jetai un coup d'œil par-dessus mon épaule. Derrière moi, deux hommes s'étaient effectivement rapprochés. Ils riaient beaucoup, puis se taisaient quelques secondes avant de repartir dans un nouvel éclat de rire. Ils se trouvaient maintenant dans mon dos et je ne pouvais pas les surveiller sans que ça paraisse anormal alors, la tête baissée, je fixais les rails devant moi. 

Soudain, une silhouette apparut à ma gauche. Pour être honnête, elle me surprit, et quand je relevai les yeux vers le visage dont émanait un rire qui me parut presque glauque, je trouvai l'un des hommes. Il était appuyé contre le poteau de l'abri et me regardait. Je paniquai et laissai échapper un bonjour de ma bouche. Tout d'un coup, mon ventre s'était serré et maintenant, tous mes muscles étaient tendus. L'homme répondit à mon bonjour et me contourna pour s'asseoir juste à ma droite. Bientôt, l'autre homme fît de même mais au lieu de prendre une place à côté de son ami, il resta debout devant celui-ci. Je faisais de mon mieux pour ne pas les regarder mais ils étaient bien trop proches de moi pour que je n'entende pas leur conversation. Ils parlaient de quelque chose à demi-mots mais ce n'était pas très difficile de deviner le sujet. C'était un truc pas très net et je n'avais aucune envie de continuer à écouter ça alors je me levai. C'est alors que l'homme qui était assis failli attraper mon poignet qu'heureusement, je retirai juste à temps. Comprenant ce qu'il venait d'essayer de faire, je restai bloquée une seconde et ce fût assez pour lui.

« Eh bien, où est-ce que tu vas ? Tu ne prends plus le train, ma belle ? »

Un frisson me parcourut et sous les manches de mon pull, je sentis mes poils se hérisser.

« Heu si... Je- »

« Et bien alors reste avec nous. On n'est pas méchants, tu sais. »

C'était l'autre homme qui venait de parler. Je me tournai vers lui pour le voir se décaler en face de moi. Je compris qu'il voulait se placer à ma gauche pour que je me retrouve coincée entre son ami et lui mais avant qu'il n'y arrive, je me tournai vers les gens, plus loin sur le quai. Là, parmi la petite foule, je trouvai ma solution.

« Baptiste ! »

J'étais déjà partie dans sa direction, laissant les deux hommes sur place. Enfin, c'est ce que j'espérais et non pas que dans mon dos, ils étaient en train de me suivre. J'hâtai un peu le pas.

« Euh... Jade ?! Ça va ? »

Il s'était faufilé entre quelques personnes pour s'approcher.

« Tu as l'air- »

« Oui oui, je sais. Je- Enfin, tu vois les deux hommes derrière moi ? »

« Oui, ceux tout là-bas ? »

J'osai enfin me retourner et soupirai quand je remarquai les deux hommes restés à la place où je les avais laissés.

« Oui, ceux-là. Bref, ils... ils se sont rapprochés et ils commençaient à être... bizarres avec moi. »

« Ah, je crois que je vois... Il vaut mieux que tu restes ici alors, c'est plus prudent. »

Il était un peu gêné et moi aussi, bien plus encore.

« Je suis désolée. Je t'ai vu alors sur le coup, je me suis dite que s'ils me croyaient en compagnie de quelqu'un, ils me lâcheraient. Je suis vraiment désolée. »

« Oh t'inquiète, c'est pas grave. »

Même si je venais de m'excuser, j'étais toujours aussi gênée. Baptiste était un garçon de l'école. En cinq ans de collège, on n'avait jamais été dans la même classe mais on se connaissait parce qu'on habitait le même village et puis parce que quand on était petits, on se croisait souvent à l'académie d'art. A Ornes, on avait le choix entre ça ou le sport comme activité extra-scolaire. Moi, j'avais choisi le dessin à l'académie et lui, le théâtre je crois. Une année, il avait essayé le dessin et c'est comme ça qu'on s'était connus. Mais depuis, les années avaient passé et nous, chacun de notre côté, nous avions changé. Au lycée, nous étions de parfaits inconnus aux yeux de tout le monde et de parfaits opposés aussi d'ailleurs. Mais ça, c'était pour les autres. Pour nous... En fait non, peut-être que les autres avaient raison, peut-être étions-nous redevenus de parfaits inconnus finalement...

What a dreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant