Chapitre 3

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Bientôt, j'aperçus par la fenêtre les quais de la gare se dessiner. Elle était bien plus grande et bien plus belle que celle de Ornes, ma ville. D'ailleurs, je m'étais demandée un jour si, si j'étais née dans une grande ville, j'aurais été différente. Peut-être que mes parents m'auraient laissé plus de liberté ou peut-être pas justement. Mais je voyais mal comment je pouvais être encore moins libre que maintenant.

Bref, on descendit du train et je m'adressai aux garçons.

« Vous prenez quel train pour le retour en fait ? »

Évidemment, Louis répondit en premier.

« Je verrai bien mais je devrais être dans celui de 18h23 normalement. »

J'acquiesçai devant sa réponse et me tournai vers le muet du groupe qui avait repris son rôle attitré depuis qu'on était sortis du train.

« Et toi ? »

« Le même je suppose. »

Aucun des deux ne me posa la question mais je n'en fus pas tellement surprise ; les garçons ne font jamais attention à ces détails-là.

« Ok bon, vous voulez marcher un peu ensemble ? »

« Désolé, je dois aller voir quelqu'un de la famille. D'ailleurs, je vais déjà être en retard donc il faut que je me grouille. À part si vous voulez courir un marathon, je ne vous conseille pas de venir avec moi. » rétorqua Louis.

Je rigolai et à peine l'avais-je salué, qu'il nous laissait seuls.

Pour être sincère, j'attendais quand même un petit peu d'aide de Baptiste pour ne pas laisser un blanc gênant mais pas du tout, il resta muré dans son mutisme. Je m'en voulais encore pour tout à l'heure et comme je voulais toujours que les autres soient honnêtes avec moi, j'avais aussi à l'être avec eux.

« Écoute, je suis désolée si tout à l'heure, je t'ai vexé quand on parlait du dessin. »

« Quoi ? »

Oh c'est pas vrai... C'était la pire des choses : quand vous vous excusez alors que la personne a déjà oublié.

« Ben quand j'ai dit que tu dessinais mal... »

« Tu parles de ce que j'ai dit après ? »

« Mmh mmh. »

« Oh ça, c'était pour rire. C'était ironique. »

« Ah, t'es sûr, parce que... »

« Parce que ça ne t'est pas paru comme ironique, c'est ça ? » Il avait répondu d'un petit sourire dépité comme s'il était déçu que son humour ne soit pas aussi bon qu'il ne le pensait.

« Oui, c'est ça. » répondis-je en souriant à mon tour.

« Je suis désolé. »

« Pas grave, tu as encore du temps devant toi pour améliorer tes compétences humoristiques. »

Je réussis à le faire sourire de nouveau, presque rire mais très vite, il passa une main sur sa nuque. Honnêtement, les silences dans une conversation ne me dérangent pas plus que ça mais le problème est que souvent l'autre personne, elle, est dérangée. Alors, j'ai cette impression que c'est moi qui les gêne et je culpabilise si je ne trouve pas de quoi reprendre la conversation. Quand même, il aurait pu s'occuper de combler au moins un blanc mais bon...

« Ben, du coup, tu vas faire quoi maintenant ? »

« Je ne sais pas trop. Quand j'ai pris mon billet ce matin, c'était juste pour prendre l'air. Je n'ai pas réfléchi à ce que j'allais faire. »

Moi, il me fallait au moins trois jours pour planifier une sortie à cause de mes parents et lui, il se décidait le jour même. J'aurais aimé savoir ce que ça faisait de se sentir véritablement libre. Au-delà de tout, ce qui me frustrait le plus c'était que tout le monde semblait pouvoir goûter à sa liberté, tout le monde sauf moi.

« Ok, du coup je réitère ma question : tu veux qu'on fasse un bout de chemin ensemble ? Jusqu'à la place par exemple. »

« Euh, je sais pas... »

Il regarda sa montre mais à mon avis, c'était juste une excuse pour se donner le temps de réfléchir. C'était moi maintenant qui me grattait la nuque. Quand même, qu'il se décide ! Moi je faisais juste ça pour paraître polie après tout. Ce n'était pas la décision d'une vie que je lui demandais de prendre.

« C'est bon, je viens. »

Je me retournai vers la rue, puis de nouveau vers lui.

« Jusqu'à la place ? »

« Si tu veux. »


On marchait tous les deux sur les pavés des petites rues du centre quand je jetai un coup œil au ciel. On était peut-être en été, mais la météo n'était pas si bonne que ça. Bien que la pluie ne nous avait pas encore mouillés, les nuages nous menaçaient déjà depuis le ciel. Nous passions devant des vitrines et mon regard s'attarda bien sur une ou deux mais je n'osai jamais demander que l'on s'arrête. Malgré la météo, malgré le peu de mots qu'on avait échangés depuis la gare, malgré qu'on n'entra dans aucune boutique, j'avais un sourire que j'essayais tant bien que mal de dissimuler. Cependant, passant en face d'une librairie, j'aperçus quelque chose qui me fit le perdre. Mon reflet. Il me suivait partout comme une ombre menaçante. Cette fois-là, il me montrait une fille, une veste tailleur un peu trop grande sur les épaules, un pull simple, une jupe ni courte, ni longue et des bas en nylon noirs. Cette fille paraissait fort petite à côté du garçon qui l'accompagnait. C'est ce détail qui me donna la force de lâcher du regard mon reflet et de le tourner vers ce garçon qui m'accompagnait. Oui, pour une fois, quelqu'un m'accompagnait moi et ça, ça suffisait à me redonner le sourire.

Je le fixai le plus discrètement possible. C'est vrai qu'il était grand. C'était d'ailleurs grâce à ça que je l'avais aperçus dans la foule qui se trouvait sur le quai. S'il avait eu quelques centimètres de moins, je n'aurais peut-être pas trouvé ma solution et qui sait ce qu'il se serait passé. J'étais fâchée plus que triste contre ces deux hommes. J'étais en colère parce que la prochaine fois, j'hésiterais à porter une jupe et ça, c'était à cause d'eux. Mine de rien, j'avais eu peur sur le moment, surtout quand j'avais vu sa main s'approcher de mon poignet pour le retenir. Je n'imaginais même pas la panique de mes parents si je leur faisais part de ce qu'il s'était passé. Pourtant, j'aurais voulu en parler à quelqu'un, de ce que j'avais ressenti mais je devais m'en passer parce qu'avec eux, la seule chose à laquelle ça aboutirait serait une interdiction de sortie. Tout court, avec ou sans jupe. Je serais punie pour les perversités de la société alors que moi je n'avais rien fait. Mon regard se releva une nouvelle fois de mes pieds pour se porter vers Baptiste, toujours aussi silencieux. Si mon père me savait avec un garçon, il serait furieux mais ses règles et conditions avaient des limites qu'il ne pouvait pas surveiller sur le terrain. Je veux dire ; il était obligé de me croire. C'était d'ailleurs l'heure de lui envoyer un message et c'est ce que je fis.

Ça faisait un bout de temps qu'on marchait et il n'avait pas encore prononcé un seul mot. Je n'avais jamais voulu l'obliger à venir et même si je savais qu'on était tout proches de la place, je ne pus m'empêcher de lui demander :

« Baptiste – il se retourna et s'arrêta – si ça t'embête de marcher avec moi, dis-le, ça ne me dérange pas. Je trouvais simplement que c'était plus chouette de marcher accompagné que seul en général et c'est pour ça que j'ai proposé mais si... »

« Arrête. »

« Quoi ? »

« Ça ne me dérange pas de marcher avec toi. »

Sans un mot de plus, il tourna les talons et reprit sa marche. Immobile et surprise, je le regardai s'éloigner quelques secondes. Il se tourna à nouveau vers moi avant de me lancer :

« Tu viens ? »

Je trottinai jusqu'à sa hauteur et reprit le rythme de la marche sans plus trop oser le regarder.

De toute façon, nous allions bientôt nous séparer parce qu'au bout de la rue, j'apercevais déjà les bâtiments de la place...

What a dreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant