rendez-nous accros à la vie

Chapitre 4

- Là t'as les verres, fais gaffe ils sont fragiles, là bas t'as la caisse, elle est cassée du coup on demande au client de payer que en liquide, déblatéra Romain.

Il faisait dans grands gestes dans tous les sens et il parlait tellement vite que c'est limite s'il ne sautait pas une syllabe sur deux. Grand, pas bien gros - juste le ventre à bière habituel chez les mecs de son âge -, une moustache en guidon grisonnante et des cheveux longs tenus en queue de cheval, Romain incarnait le rockeur quarantenaire à la perfection. Par contre il sentait la transpiration rance et le burger king.

L'image de moi en train de me taper mon meilleur burger me mit l'eau à la bouche. Rêve qui fut rapidement chasser par une petite voix amère qui me répéta que j'étais trop grosse pour ça, que je ne le méritais pas. Je secouais la tête et essayais de me concentrer sur ce qu'il disait.

Romain tenait le Perfection à la perfection, c'est le mot d'ailleurs. Un bar qui puait la clope, où les tables étaient collantes de bière, le mobilier était vieux, menaçant de se briser à tous moments, où les habitués venaient dès dix-sept heures pour boire leurs calories liquides sans faire attention à leur compte en banque. Parce que Romain était manifestement malin, il savait que saouls, les gens perdaient la tête et qu'ils n'en avaient plus rien à foutre de voir leur argent s'envoler. Il y avait toujours demain pour regretter sa stupidité.

J'avais été embauché comme serveuse pour payer mon loyer. Parce que, même si j'avais un peu d'argent de côté, j'avais du mal à finir les fins de mois, et je ne voulais me réduire à demander de l'argent à mon père. C'était admettre que je ne pouvais rien faire sans lui. Le reste d'ego et de fierté qu'il me restait m'empêchait de quémander comme un chien affamé.

- Si t'as un mec qui te colle tu siffles deux fois dans ce sifflet, dit-il en me tendant le petit objet en plastique noir. Grosse tête viendra se débarrasser du gars, continua-t-il en désignant un mec au crâne luisant.

Il me fit un signe amical de sa géante main. Je lui lançais un sourire maladroit et détournais le regard, intimidée.

- Tu as des questions?

- Vous faites des concerts? demandais-je en désignant la scène du menton.

Romain bomba fièrement le torse, les mains sur les hanches.

- Ouaip, tous les soirs on se débrouille pour faire venir des groupes d'un peu partout, la plupart sont des étudiants qui chantent de la daube, mais quelque fois on tombe sur des pépites, d'ailleurs si tu entends un truc bien, tu note le nom du groupe sur ce tableau.

- Ah, ok, acquesçais-je. Je commence quand?

Il fronça pensivement les sourcils puis remarquant mes yeux brillants de détermination, il sourit.

- Ce soir, ça te va?

- Super! m'écriais-je.

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Les basses faisaient vibrer les tables; les verres tintaient dangereusement entre eux; Les gens se frottaient les uns contre les autres, à moitié arrachés; ils riaient, criaient, applaudissaient le petit groupe de rock qui se donnait à fond sur la scène; je les voyais suer pour plaire, pour marquer les esprits embrumés. L'odeur de la sueur, de l'alcool, de la cigarette embaumait le bar exigu.

J'enchaînais les cocktails depuis plus d'une heure, le rythme était intense. Fallait être sur tous les fronts, servir le plus rapidement possible sinon pas de pourboire. Sourire parce que tu dois être jolie. Accepter les compliments dégradants des mecs saouls. Ne pas répondre aux personnes agressives.