Chapitre 0 - Lukka (2/2)

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La nuit tomba enfin. Le froid se faisait mordant et Lukka commençait à sentir le bout de son nez et de ses doigts se glacer. Des gardes royaux s'étaient joints aux mercenaires pour débusquer l'assassin de leurs supérieurs. Ils sillonnaient la ville telles des fourmis armées de torches.

 Du haut de sa cachette, la jeune fille, emmitouflée dans sa cape sombre, pouvait observer les alentours sans être vue

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Du haut de sa cachette, la jeune fille, emmitouflée dans sa cape sombre, pouvait observer les alentours sans être vue. D'autant qu'elle possédait un petit avantage sur ses poursuivants : elle possédait le don de voir dans la nuit comme en plein jour – ou presque. Et, bien qu'elle fût assurée qu'elle pourrait aisément traverser les quelques rues qui la séparaient de la grand-route menant aux bois, Lukka se sentait fébrile. Son corps tremblait, mais elle savait que la fraîcheur nocturne n'en était pas la cause. Elle allait devoir fuir avant que l'on envoie de « vrais » renforts : les chevaliers d'élite du roi Voghern. Car si une bande de gardes et de reîtres ne suffisaient pas à l'impressionner, c'était une tout autre mesure dans le cas de ces chevaliers. À cette pensée, un frisson remonta le long de sa colonne. Son cœur manqua un battement. Puis, il commença à marteler de plus en plus fort à l'intérieur de sa poitrine, ponctuant les nombreuses questions qui se bousculèrent dans son esprit.

Qu'allait-il se passer à présent ? Quelques instants auparavant, sans même y réfléchir, elle avait songé à fuir. Mais maintenant, Lukka se demandait si c'était bien là sa meilleure option. Elle essaya d'imaginer la vie qui l'attendrait après cette nuit. Une vie de fugitive, à courir de cachette en cachette ? Elle pensa à ses parents. Tous deux avaient prévu de quitter la ville avec son jeune frère le lendemain. Mais il valait mieux pour eux qu'elle ne cherchât ni à se rendre à leur domicile, pourtant situé à quelques pas de son perchoir, ni à tenter de les rejoindre sur la route après leur départ. Elle n'avait, de toute manière, pas prévu de partir avec eux, et cela ne ferait que leur attirer des ennuis. Car, bien que l'on n'ait pas vu son visage, on finirait bien par l'identifier comme l'auteur des faits... « Ça m'apprendra à crier haut et fort que je tuerais tous ces porcs de mercenaires si l'occasion m'en était donnée ! », songea-t-elle.

Ne ferait-elle donc pas mieux de se rendre ? Non, certainement pas ! Cela reviendrait à se condamner ; d'abord à la torture puis à la potence. En Argon, personne n'ignorait cela : pas de pitié pour les individus qui montraient une quelconque désobéissance face aux représentants du pouvoir royal. Quant au sort réservé à ceux qui faisaient acte de rébellion, leurs crimes étaient punis de manières plus qu'exemplaires. Et Lukka avait déjà reçu un avertissement. En réalité, la jeune fille savait. Elle savait qu'une seule option s'offrait à elle : quitter Londwud et essayer de se faire oublier.

 Elle savait qu'une seule option s'offrait à elle : quitter Londwud et essayer de se faire oublier

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Une brise glaciale fouetta son visage, la ramenant à l'instant présent. Celui où elle devait agir. Celui où elle devait fuir ; fuir pour survivre. Elle ôta ses bottes, dont la semelle de cuir claquait sur les tuiles du toit, et les abandonna sur place. Elle entreprit de descendre de sa cachette dans le plus grand silence. Ses gestes étaient lents et précautionneux. Elle focalisait son attention sur les bruits de pas des patrouilleurs alentour, craignant qu'on ne se dirigeât vers sa position. Enfin, la pointe de ses pieds effleura les pavés que le froid nocturne avait recouverts de givre. Après s'être assurée que personne ne l'avait repérée, elle se mit à courir vers le sud, en direction de la forêt de Brynwud.

Lukka prenait soin de s'arrêter à chaque angle de rue afin d'observer les rondes des gardes et des mercenaires. Mais soudain, le cor d'alerte de Carsax retentit. Il annonçait les départs des chevaliers du roi. La terreur figea le visage de Lukka. Pendant un instant, elle se recroquevilla sur elle-même. Ses jambes menaçaient de ne plus la porter. Mais elle n'avait plus le temps d'avoir peur. Elle devait fuir au plus vite.

Mue par l'effroi, elle se mit à courir, sans réfléchir, oubliant toute discrétion. Elle se glissa, telle une ombre, dans le dos d'un soudard qui se trouvait devant elle. Furtive, elle empoigna la dague qu'il portait à sa botte puis lui trancha la gorge sans plus de cérémonie. Elle procéda de même avec tous ceux qu'elle rencontrait en chemin, mais épargna toutefois les simples gardes.

Elle qui avait pris la vie pour la première fois cet après-midi se retrouvait à présent avec près d'une vingtaine d'assassinats à son actif. Sa colère et son instinct de survie annihilaient toutes ses autres pensées, laissant la peur guider ses actes.

Lukka arriva enfin aux dernières bâtisses de la ville. Son cœur tambourinait à tout rompre dans sa poitrine et ses tympans résonnaient au même rythme. Elle parvint à une poste à chevaux et libéra de la dizaine de montures présentes ce soir-là. Elle se hissa sur un équidé noir. La cape sombre qui habillait la fugitive se fondait avec la robe ténébreuse de l'animal. Lukka fit détaler le troupeau par la grand-route vers les bois. Un cor sonna de nouveau. Tout proche. Il indiquait l'ouverture de la chasse : on avait suivi sa trace – assez voyante, puisqu'elle n'avait guère pris le temps de camoufler les cadavres laissés derrière elle. Elle entendit des cris et le bruit de sabots qui foulaient les pavés. Ses poursuivants se rapprochaient dangereusement, mais elle n'osa pas se retourner. Elle talonna sa monture, mais celle-ci avait atteint sa limite et elle ne ferait pas le poids face aux cavaliers du moän.

Lukka voyait l'épaisse forêt approcher, mais elle entendait les hommes du roi la rattraper. Le troupeau d'équidés pénétra enfin dans les bois. La route sillonnait entre les arbres et la jeune fille s'accrochait comme elle le pouvait à sa monture lancée à vive allure. Alors que son canasson prenait un virage après un gros rocher, Lukka en profita pour sauter à terre. Elle s'enfonça dans l'ombre des hêtres, courant le plus vite et le plus loin que ses jambes fébriles et son souffle court le lui permettaient.

 Elle s'enfonça dans l'ombre des hêtres, courant le plus vite et le plus loin que ses jambes fébriles et son souffle court le lui permettaient

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Lorsqu'elle s'arrêta enfin, il lui sembla que les cavaliers avaient poursuivi les chevaux, et n'avaient pas vu qu'elle s'était échappée. Ses poumons douloureux peinaient à se gonfler. Un point de côté la tiraillait et ses pieds, nus et pleins d'échardes, la faisaient souffrir. Maintenant qu'elle avait cessé de courir, le froid la gagnait. Elle jeta un œil aux alentours. Dans l'immense forêt, dense et silencieuse, seule la brise faisait bruisser les feuilles d'automne.

Lukka grimpa au sommet d'un grand pin. Elle s'installa à califourchon sur une branche assez solide et s'adossa au tronc. Des larmes s'échappaient de ses yeux et ruisselaient sur ses joues. Épuisée, la jeune fille finit par sombrer dans un sommeil où les rêves n'avaient plus leur place.

Les Élus du Moän - t1. L'Héritage des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant