Chapitre 0 - Lukka (1/2)

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« Grogne et se met en chasse...

... »


Ville de Londwud, capitale du royaume d'Argon, automne de l'an 2321 de l'Ère des Hommes.

Ville de Londwud, capitale du royaume d'Argon, automne de l'an 2321 de l'Ère des Hommes

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Londwud était une ville animée. Ses rues pavées et ses commerces grouillaient en permanence de toutes sortes de gens : riches négociants, mendiants difformes, jongleurs de rues aux tenues chatoyantes, palefreniers traînant derrière eux des relents chevalins. Un mélodieux tapage s'élevait tout le long du jour d'entre les bâtisses, et les gourmands effluves des nombreuses auberges venaient allécher les passants.

Située à moins d'une heure de marche de la forteresse royale de Carsax, la capitale était un agglomérat de plusieurs fermes devenues villages. Les constructions s'étaient agglutinées au sud de la cité fortifiée, le long de la rivière Abinnsà et à proximité de terres cultivables. Monuments en pierre y côtoyaient édifices de bois ou habitations de torchis à colombages, et les diverses placettes qu'offrait la ville étaient prétextes à maints rassemblements et festivités.

Parmi la foule qui se pressait dans les artères de Londwud, les soldats et mercenaires à la solde du roi Voghern venaient chaque jour fréquenter les maisons closes et boire tout leur saoul.

Cet après-midi-là, à la Vrille de Sanglier, deux mercenaires hauts-gradés – reconnaissables à leurs mantels de fourrure noire – se trouvaient attablés à l'intérieur de l'auberge, tandis qu'au-dehors, leurs hommes apostrophaient les passantes. Le petit établissement débordait de clients plus alcoolisés les uns que les autres. Le brouhaha de leurs cris résonnait fort contre les murs, et une odeur rance de vin et de bière séchés flottait dans l'air.

 Le brouhaha de leurs cris résonnait fort contre les murs, et une odeur rance de vin et de bière séchés flottait dans l'air

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Emma, la serveuse, une femme accorte et à l'allure juvénile, se faisait aider de sa jeune fille, Galia. Cette dernière, du haut de ses dix ans, laissait présager qu'elle serait, à l'image de sa mère, une fort jolie demoiselle. Alors qu'Emma était partie servir les clients à l'extérieur, Galia apporta de nouvelles chopines de bière aux deux capitaines, déjà ivres depuis longtemps à en juger par leur teint rubicond et leurs yeux vitreux. Mais, au moment où elle voulut débarrasser leurs chopes vides, l'un d'eux empoigna ses cheveux et la força à s'asseoir sur ses genoux. Il tenta d'approcher la bouche délicate et encore vierge de la fillette de ses grosses lèvres balafrées, le tout sous les encouragements grivois de son complice. La petite se débattait comme elle le pouvait, repoussant de ses frêles mains le visage de son agresseur. Elle hurlait, mais le vacarme des clients avinés couvrait ses appels à l'aide.

Assis au comptoir, un individu d'apparence chétive observait ce manège, les traits en partie masqués par la capuche de sa longue cape sombre. Il se leva et se faufila entre les tables jusqu'à celle des deux mercenaires, toujours en train de maltraiter la pauvre enfant.

— Laissez-la tranquille ! cria la silhouette, d'une voix fluette.

Les deux brutes regardèrent dans sa direction puis éclatèrent d'un rire sonore avant de poursuivre leur petit jeu. Le désespoir et la peur se lisaient dans les yeux de Galia.

L'individu tourna les talons et s'approcha d'une desserte voisine. Soudain, avec une rapidité peu commune, il y attrapa une paire de couteaux, pivota sur lui-même et les envoya avec précision en direction des fauteurs de trouble. Le métal affûté leur transperça la gorge. Dans l'instant, l'assassin se glissa parmi la foule des soûlards et prit la fuite par une lucarne donnant sur une rue déserte. Il se hissa allègrement sur le balcon, au premier étage de l'auberge, puis pénétra dans une chambre par une fenêtre laissée ouverte. Il se plaqua contre le mur près de l'ouverture. En entendant les autres soudards donner l'alerte, il risqua un coup d'œil vers l'extérieur et vit des hommes se lancer à sa recherche, fouillant en vain les rues adjacentes. Dans leur état d'ébriété avancé, aucun ne songerait que le fuyard, au lieu de décamper le plus loin possible, se serait juste caché dans l'établissement.

Lukka sourit à sa ruse. Elle se trouvait bien maline, mais savait qu'elle venait de se fourrer dans un beau pétrin. Profitant de ces quelques instants de calme, elle retira sa capuche et se laissa glisser le long du mur jusqu'à s'asseoir sur le plancher.

 Profitant de ces quelques instants de calme, elle retira sa capuche et se laissa glisser le long du mur jusqu'à s'asseoir sur le plancher

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Malgré ses cheveux couleur de cendre et ses yeux gris pâle, Lukka aurait pu ressembler à n'importe quelle autre jeune fille de son âge. Mais la cicatrice rougeoyante qui balafrait son nez et sa joue droite et la gravité que renvoyait son regard la distinguaient de ses paires. À douze ans, elle avait déjà vu et vécu bien des horreurs, pour son jeune âge ; elle n'était déjà plus une enfant comme les autres et, surtout, elle était une élue du moän.

Lukka n'avait jamais apprécié les mercenaires. Ces gars-là avaient été recrutés par le roi Voghern à la suite du Solstice Macabre, six ans auparavant. Ils devaient renforcer les rangs de la garnison en grande partie massacrée par les barbares bohordiens. Mais contrairement aux chevaliers et aux gardes royaux, ces soudards n'avaient aucunes bonnes mœurs et encore moins de sens moral. De vulgaires brutes épaisses. Pour la plupart, des criminels à qui l'on avait donné une seconde chance en échange de leurs « bons et loyaux services ». Ils ne respectaient rien ni personne, et surtout pas les représentantes de la gent féminine.

Aujourd'hui avait été la fois de trop pour Lukka. Elle avait réagi de manière impulsive, laissant sa colère commanditer ses actions. Mais il n'aurait pu en être autrement ; pas après l'odieux spectacle auquel on l'avait forcée à assister la veille. Impossible de revenir en arrière à présent qu'elle avait assassiné deux d'entre eux. Assassiné. Ce mot détonnait dans son esprit.

Elle s'exerçait au combat et au maniement des armes depuis sa plus tendre enfance, se mesurant même à des garçons plus âgés qu'elle. Elle avait toujours été douée dans ce domaine. Mais elle n'avait encore jamais tué personne avant ce jour. Ses pensées se bousculaient dans sa tête. Par la fenêtre, son regard vide se perdait dans les nuages que le crépuscule teintait d'un rouge sang, comme en écho à ses actes meurtriers.

Des bruits étouffés interrompirent son égarement. Des bruits de pas. Quelqu'un montait les escaliers. Prise de panique, Lukka jeta un œil à l'extérieur. Ses poursuivants occupaient la rue, mais ils ne paraissaient pas s'intéresser à ce qu'il se passait au-dessus d'eux. La jeune fuyarde ressortit alors par la fenêtre puis grimpa avec souplesse sur le toit où elle resta tapie.

Les Élus du Moän - t1. L'Héritage des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant