Dans un monde déserté par les dieux, une jeune hors-la-loi érigée malgré elle en figure de la Résistance vit cachée dans les bas quartiers de la capitale du royaume d'Argon. Lorsqu'elle apprend que, sur les conseils de son mage noir, le roi s'apprêt...
« À son ennemi héréditaire, le conquérant s'alliera,
...
... »
L'arrière-salle était une pièce sombre, froide et sans fenêtres. Le sol et les murs se composaient d'énormes pierres nues, sans aucune tapisserie ni décoration, hormis quelques porte-torches en fer forgé finement ouvragés. Seuls meubles à occuper l'espace, la douzaine de sièges – que le fauteuil royal présidait – et la longue table de noyer sur laquelle on avait déroulé une grande carte du royaume ne suffisaient pas à rendre les lieux plus accueillants. C'était ici que les hauts conseillers d'Argon se réunissaient lorsqu'ils ne devaient pas être dérangés.
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Le vieil administrateur, Aymard, assis en coin de table, gardait les mains crispées sur ses genoux, signe de sa nervosité. Ses cheveux blancs comme la neige et sa peau pâle et fripée lui conféraient une allure quasi fantomatique. Mais derrière cette frêle apparence se cachait un des plus brillants esprits qu'Argon eût connu. Aymard possédait une intelligence supérieure ainsi qu'une culture peu commune. Il avait toujours été un homme bon et dévoué, néanmoins, on ne pouvait le qualifier de courageux. Ironiquement, sa plus grande peur se trouvait incarnée par une personne qu'il avait vue naître et en partie élevée : le roi Voghern Perargon, deuxième du nom.
Celui-ci, appuyé nonchalamment sur le bord de la table, un pied posé sur son fauteuil, gardait son menton relevé comme pour mieux toiser ses conseillers. Son regard, dur et froid, suintait l'arrogance. Sa Majesté était coiffée de Chyrntar, la légendaire couronne d'obsidienne que se transmettaient les souverains du royaume depuis l'aube de l'Ère des Hommes. On disait que seul le roi légitime d'Argon pouvait la porter sans être frappé de la Malédiction de la Mort.
Le dernier des conseillers se tenait debout, en retrait derrière le roi, comme à son habitude. Le grand mage Æthred semblait attendre avec intérêt l'objet de cette réunion soudaine. Il paraissait une quarantaine d'années, mais son âge se comptait en réalité en millénaires. Æthred était un des Immortels les plus puissants au monde. Malgré cela, il n'avait jamais cessé de chercher à accroître cette puissance déjà phénoménale. Sa soif de pouvoir n'avait d'égale que celle de Voghern, son plus proche allié.
Le roi se servit une poignée de fruits secs dans la coupe posée à côté de lui. Son regard d'acier fixait les deux nouveaux arrivants. Jörs et Gareth attendirent qu'il leur fît signe de s'asseoir avant de prendre place autour de la table. Voghern garda le silence quelques instants. Il respirait fort, marque de son irritation.
— Conseillers, commença-t-il enfin, je suppose que vous trouvez cela normal, qu'un bon tiers de mes convives se soit fait dépouiller par des rebelles sur les routes menant à la capitale ? Êtes-vous donc complètement incapables de garantir, tous autant que vous êtes, la sécurité des seigneurs que je convoque en ma forteresse ?
Il avait parlé sur le ton de la conversation, mais, bien que contenue, sa fureur était palpable. Les trois conseillers attablés se regardaient en silence. Aymard appréhendait tout particulièrement la suite des événements. Sa Majesté lui avait paru bien agacée ces derniers jours. Malgré sa toute-puissance, le monarque perdait pied et les feudataires du royaume ne se montraient plus aussi confiants et obéissants envers leur suzerain. Pour la première fois, son pouvoir vacillait.
