Chapitre 1 : J'ai besoin de ton aide

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La chaise était haute et le café froid. Elle était seule, assise à ce comptoir, assise sur cette chaise haute et devant ce café froid. Elle n'avait osé toucher à quoi que ce soit. Les bras croisés autour de sa poitrine, le regard égaré et la mine stoïque, il y avait des pensées qu'elle n'arrivait à se retirer de l'esprit. Le sifflement des bals, l'air terrible des canons, le tranchant d'une lame, l'occupaient depuis quelques heures. Venant à Paris, elle avait cru savoir ce qui l'attendait. Seulement, la révolution est une chose dangereuse. Ses avant-bras furent soudainement secoués de tremblements. Elle essaya de se redonner une contenance en se saisissant à deux mains, entre ses paumes, sa tasse. Ses doigts vinrent en gratter le bord, et, ils semblaient s'attendre à écailler le dessin de ces petites fleurs roses peintes sur la porcelaine. Elle avait toujours détesté les fleurs. La porcelaine, les fleurs, le rose, étaient l'affaire de Charlotte, pas la sienne. Son affaire à elle était plus grande. Elle avait un plus grand destin que celui de devenir enseignante, comme sa meilleure amie, alors, elle était partie. Partie sans se retourner. L'odeur de café et d'alcool se mêlait à l'atmosphère étrange de ce café qu'elle avait l'habitude de fréquenter depuis son arrivée à Paris.

Ses yeux éteignirent soudainement l'étincelle qui avait coutume de les habiller, et, sa rétine s'assombrirent. Ses lèvres s'entrouvrirent, se fermèrent, s'entrouvrirent, se fermèrent, maints et maints fois, en pensant que la volonté seule suffirait. L'air était lourd, et, semblait tomber en gros morceaux dans l'atmosphère. Ses épaules s'affaissèrent, et, sa nuque était nerveuse ; elle passa une main pour la dénouer. Elle se souvient être restée immobile d'admiration en lisant, pour la première fois, en arrivant à la capitale, les quatre lettres de café écrit en gros caractères au-dessus de deux immenses portes. Elle avait osé entrer, et se trouver dans une longue salle, dont le plafond était élevé et les murs défrichés. Ce jour-là, tout était un enchantement pour elle. Ce jour-là lui semblait venir d'une époque lointaine.

Elle se retourna sur son tabouret, et fit face à cette longue salle, qui l'avait tant éblouie la première fois. Une partie de billards était en train de se jouer. Un jeune homme criait les points et les joueurs couraient autour de la table de billard encombrée de spectateurs. Des flots de fumées de tabac, sortant de la bouche de tous, les enveloppaient d'un lourd nuage gris. La haute stature de ces hommes, leurs épaules amoindries, les longues redingotes qui les couvraient, tout était dissimulé derrière la fumée et la poussière. Mais leurs yeux ! leurs yeux emplis d'excitation, d'euphorie et d'autres choses, le tout emportait par l'ivresse de l'alcool qui monte aux esprits brillaient dans l'obscurité. Les sifflements des gagnants, les huées des perdants, le tintentement des verres qui s'entrechoquent ; le vacarme est assourdissant, et, chaque son lui frappaient les oreilles comme des poignards, mais elle n'avait pas mal. Elle aimait les blessures aigües qui sont les seules à parvenir à la distraire des idées fixes et moroses qui occupaient son esprit. Ses idées de morts et de résistance qu'elle avait pensé être assez forte pour porter. C'est alors qu'elle se régalait de ce spectacle étonnant, qu'elle aperçut une silhouette encapuchonnée se lever d'une table et lui faire signe de la main d'approcher. Elle crut rêver, puis, lorsque cet inconnu eut rejoint la porte d'entrée à double battant du café, qu'il se retourna, souleva sa capuche et qu'elle entrevit son regard étincelant et son fin sourire ironique, elle ne se permit plus un doute. L'inconnu quitta le café, et, ni une ni deux, elle se leva de son tabouret et le suivit au dehors.

Un instant, elle se crut folle, puis, elle remarqua les pans d'une longue cape pénétrait sous une arcade sombre, et, marcha sur ses pas. Suivre un inconnu était le genre de folie dont elle était maîtresse. Charlotte l'en aurait empêché, mais Charlotte n'était pas là, mais elle était seule, et Paris n'était pas la province. Soudain, elle se sentit saisi par derrière, et avant qu'elle eût le temps de se défendre, elle fut projetée contre un mur. Au sommet de l'étonnement et au pied de la peur, elle lâcha un hoquet de surprise tremblant. Ses oreilles tintèrent, sa tête vibra et elle vit flou. Puis, la vue lui revient peu à peu, et lui vint cette lueur dans les yeux de cet inconnu. Soutenu par l'instinct le plus animal, elle s'empara de la dague accrochée à sa ceinture. Elle leva son bras, retourna cet ennemi, qui la traquait dans une ruelle sombre, qu'elle plaqua contre le mur, et, lui étreignait la gorge d'une main brutale en soutenant d'une autre son poignard.

- Thérèse... c'est moi, souffla difficilement l'inconnu.

Cette voix ! Thérèse l'a reconnu. Cette voix ! Cette voix d'habitude si hilare et si railleuse... oh ! cette voix.... elle avait été trop dure, trop sévère, trop froide. Elle l'avait raillée si souvent, et, maintenant, elle n'était qu'un souffle dans sa main.

- Louis, dit-elle, en retirant sa main de son cou, avant d'abaisser son poignard. Louis de Navarre.

Louis retira alors sa capuche, et, Thérèse finit de le reconnaître. Ses cheveux blonds et bouclés, comme ceux d'un ange ou d'un enfant, tombèrent dans sa nuque. Ses yeux avaient toujours cet éclat qui rendait le bleu plus lumineux, plus intense, égal à celui des océans. Cependant, Thérèse semblait y voir pour la première fois quelque chose qui la déconcerta. Elle mit un moment à comprendre qu'il s'agissait de l'obscurité de la peur.

- J'ai besoin de ton aide, lui dit-il.

Elle se mit à rire. Soudainement et de manière incontrôlable. Elle se mit à rire. D'un rire qui secouait ses épaules, qui agitait sa tête, qui brusquait son corps, qui se répercutait contre les murs étroits de cette sombre ruelle. Alors elle sentit qu'on lui prit le bras.

- Je comprends, murmura Louis, tu ne m'aideras pas.

Et il lui montra la cocarde bleu, blanc, rouge qui était accrochée à son poignet. Aussi le rire se transforma en colère. Ce fut une colère noire et froide qui fit dire à Thérèse, en même temps qu'elle reprenait son bras à Louis.

- Ceci ne te regarde en rien.

Thérèse portait cette cocarde, oui, mais elle ne voulait pas dire grand-chose. Hormis qu'elle ne désirait qu'une chose : la liberté ! Thérèse était fille de la liberté. Elle avait toujours rejeté le mal. Ce monde ne lui avait jamais plu : l'air y était lourd et l'odeur était celle des nobles. L'atmosphère environnante était une prison pour les gens comme elle, les paysans mal-nées. Cette colère qu'elle ressentait. Cette colère, c'est elle ! Thérèse avait toujours eu la colère aisée. Cette colère qui coulait dans ses veines, avec son sang, c'est elle ! elle qui l'avait menée ici, à Paris. Seulement, et elle n'oserait jamais le dire à Louis, elle avait peur. Sa rage de vivre était un peu parti quand sa peur de tuer était venue. Il y avait ces gens. Ces gens qui disaient que la résistance est une chose dangereuse. Que pour vivre, il faut tuer. Thérèse n'en était pas moins certaine.

- Ainsi tu es avec ce Robespierre

- Je ne suis avec personne, scande-t-elle, outrée.

Il était vrai. Thérèse n'était avec personne. Oui, elle était venue à Paris dès que la rumeur d'une Révolution Française s'était répandue. Oui, elle avait entendu les discours de ce Robespierre qui disait qu'il fallait trancher la tête de tous ces nobles, mais, non, elle n'était avec personne. Elle leva les yeux. Louis avait un air étrange. Ses pupilles étaient énormes, il respirait avec difficulté, et, son front lisse et blanc de gentilhomme était trempé de sueur. De sueur froide sous cette chaleur de juillet 1789.

- Thérèse, je t'en prie. Supplie-t-il en prenant dans les siennes les mains de la jeune fille et en l'admirant d'un regard mouillé et tendre, qui ne lui ressemblait en rien.

Où est le Louis de Navarre que Thérèse avait connu en province ? Ce fils de noble gentilhommes, habillé fièrement de sa belle redingote, où était-il sous cette vielle et miteuse cape ? Ce fils de noble gentilhommes, qui aimé dessiner, sur ses lèvres, un rictus hautain, où était-il derrière cette bouche pendante et tremblante ? Thérèse ne saurait le dire.

- Thérèse, aide-moi, répète-il. Tu sais ce que font ces gens des gens comme moi. Tu le sais, renchérit-il, en attrapant son propre cou de ses deux mains, aussi bien que le ferait un bourreau prêt à lui trancher la tête.

Une douleur traversa alors la jeune fille. Cette douleur n'était pas de la peine ou de la pitié, elle ne venait pas de son cœur. Cette douleur était un élancement familier qu'elle savait fragile lorsque quelque chose la perturbait trop. Cette douleur, elle venait de son flanc. Son flanc gauche déchiré par une cicatrice blanche, vestige d'une ancienne altercation à l'épée avec Louis de Navarre. La douleur fut plus forte, et encore plus forte, puis, elle se retourna sans un regard pour Louis.

- Charlotte m'a dit que tu m'aiderais !

La voix de Louis lui était parvenu, et, alors qu'elle s'apprêtait à s'éloigner de ce gentilhomme peureux et trop effrayé par une Révolution que les gens de son espèce méritaient, elle revint sur ses pas. 

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