Chapitre 3 - Hober

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- Vous ne trouvez pas que je nous ai attrapé là un beau spécimen mon cher Edvard ? demanda-t-il en regardant droit devant lui comme si la question s'adressait également au chauffeur. Ce dernier répondit par un rire gras et prolongé. Les deux hommes semblaient se connaître. L'attention d'Edvard fut soudainement attirée par le propriétaire de l'étrange taxi.

Le chauffeur, d'origine malienne à en croire les multiples écussons flanqués sur son pare-brise, lui sembla singulièrement petit. Peut-être étaient-ce ses dreadlocks grisonnantes et volumineuses, ou bien l'intensité et la gravité de la situation, mais Edvard n'avait pas remarqué jusque là que le chauffeur était en fait un nain. Dans une position quasi-debout, il sautillait surplace pour passer d'une pédale à l'autre avec une agilité digne d'un bagre lao lao. Le fessier du nain ne touchait pas son siège en velour beige qui était suffisamment reculé pour qu'il puisse exécuter ses pas de danse, le tout sur du Bob Marley à plein volume.

Tout en insultant à tout va les autres chauffeurs qui ne manquaient pas de le surprendre compte tenu du peu de visibilité dont il bénéficiait, le nain cria dans ce qui semblait être un microphone pour se faire entendre :

- Héhé sacré André ! Mais qu'est-que tu me fais là vil reptile !?

Surpris par le son électronique qui émanait de l'avant de la voiture, Edvard remarqua le casque, avec son micro transformateur de sons, juché sur la tête du chauffeur. Les sons émanant de sa bouche épaisse résonnait étrangement comme un refrain de T-Pain.

Ne paraissant aucunement dérangé, le psychiatre répondit tout en fouillant son parka beige:
- Je débute un nouveau cycle thérapeutique avec notre ami Edvard ici présent. Et j'en profite aussi pour poursuivre mon projet de revanche contre ce vieux Richard.
- Haha ce pauvre vieux ! Si seulement je savais ce que tu lui reprochais.

Passant au rouge, le taxi manqua de percuter un bus. Le nain rentra dans une colère folle.
- Sale fils de morue braisée au pétrole, tu conduis comme un rat mort sur le dos d'un éléphant ! s'exclama le nain à l'allure insolite.
Il se calma aussitôt et continua:
- Donc je dépose ton clochard au 37 boulevard Victor Hugo comme d'habitude ?

Interloqué par ce dernier élément, Edvard les interrompit et s'exclama avec difficulté:
- Comment ça comme d'habitude ? Vous voulez dire que ce n'est pas la première fois que vous faites ça à ce pauvre malheureux ?!
- Non, lui c'est la première fois qu'on le prend, répondit le psychiatre en bon pédagogue. Une belle prise, j'en suis assez fier. Ça nous est certes déjà arrivé de repêcher une ou deux fois le même clochard lorsqu'ils se révèlent assez vigoureux pour faire la route du retour à pied. Mais généralement, j'en choisis des assez mals en point et des suffisamment éloignés géographiquement pour qu'ils n'envisagent un retour une fois largués sur leur nouveau lieu de villégiature.

Tout en prononçant ces paroles, le psychiatre André dégoupillait sa pipe du fond d'une
poche intérieure et y logeait méticuleusement son tabac.
- Mais qu'est-ce que vous voulez dire ? Vous êtes un kidnappeur de clochards ? cria Edvard, qui avait l'impression de passer d'un mauvais rêve à l'autre.
- Non, non, mon garçon vous faites fausse route. Je m'amuse simplement à les déposer devant l'entrée de l'immeuble Haussmanien de mon vieil ennemi Richard. Certains déposent des fleurs sur le palier de leur bien aimée, moi je dépose des clochards sur celui de l'homme que je déteste le plus au monde. Je n'y vois rien d'anormal. En plus je me mets à l'ère du digitale. Adama est un chauffeur Hober.

Sentant que la scène était à lui, Adama reprit de plus belle un monologue qu'il semblait avoir répété de nombreuses fois:
- Oui les beaux jours des Taxis sont loin derrière nous et Uber n'est déjà plus très lucratif. Alors je me suis mis à Hober. Bon je dois l'admettre, je ne sais pas ce que dit la loi à propos de cette application. Je ne suis pas avocat moi! Mais je peux vous dire une chose, elle rapporte bien. Le principe est très simple! Vous géolocalisez le clochard dont vous ne voulez plus en bas de chez vous et un chauffeur Hober vient le récupérer pour le déposer à bonne distance. Il n'y a qu'André pour me demander de les déposer à une adresse particulière. D'habitude je les dépose dans des centres d'accueil.

Un crissement de pneu vint interrompre l'explication du nain qui tourbillonnait à présent dans tous les sens pour voir d'où pouvait bien provenir le bruit strident et menaçant. Puis ce fut au tour d'un gyrophare de venir rompre le calme bourgeois du boulevard Victor Hugo.

Le taxi était pris en chasse par une voiture de police. Le nain sauta pieds joints sur la pédale d'accélération.

Le clochard dormait de tout son soûl. Le chauffeur jurait de plus belle en n'oubliant aucun des animaux que l'Afrique pouvait abriter. Edvard sentait son cœur démolir sa poitrine à coups de corne de bélier. André, son psychiatre, la pipe sur le bout des lèvres, observait Edvard avec le sentiment du devoir accompli.

PsychopathérapieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant