Chapitre 2 - Apparition divine dans un taxi

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Edvard en oublia qu'il était supposément en pleine séance thérapeutique avec son psychiatre du moment. Le jeune homme se mit à douter de la réalité de cette scène tragiquement érotique. C'était sans doute à cause de l'un de ces foutus médicaments, se dit-il.

Ses pupilles scannaient chaque millimètre des expressions faciales du clochard assit de l'autre côté de la banquette arrière du taxi. Un visage boursouflé par la fatigue et l'âpreté du quotidien. Les cheveux de la victime de ce viol étrange à 60km/h en plein Paris, entremêlés de toute part, s'ornaient d'une texture étrangement fascinante. Les racines s'entrecoupaient à la manière d'herbes sauvages, et arboraient une couleur terre singulièrement proche de celle que revêt le cannabis une fois passé entre les dents du broyeur. La tige du cheveu, visiblement plus dense, exhibait les semaines voire les mois de crasses accumulées. Des poux, des mouches, et des larves devaient grouiller dans ce nid infecté par la saleté urbaine, pensa honteusement Edvard. Une odeur nauséabonde, imitant celle de diarrhée séchée sur un siège de métro, émanait de ce crâne, lieu de débauche, de débâcle et de démultiplication à foison pour ces immondes bestioles.

Ce spectacle inédit tranchait ostensiblement avec la symétrie harmonieuse et généreuse de la mâchoire proéminente du martyr silencieux. Sa barbe, abandonnée aux affres de la pluie et de la boue, s'étalait maladroitement sur ses lèvres meurtries par les mois de froid qui avaient précédés l'été caniculaire.

D'une couleur jaunâtre, similaire à celle d'une urine infectée, ses dents se suivaient pourtant telles les notes d'une symphonie de Beethoven. Son nez, autrefois aquilin, ne formait plus qu'un amas d'os cassés par les passages à tabac et les aléas de la rue.

Edvard était absorbé par ce visage dont il épiait chaque détail comme pour essayer de se remémorer une ancienne connaissance. Quelque chose se dégageait de ce ramassis de détresse humaine, une forme de sérénité dans la douleur, de bonté dans la souffrance, de pudeur dans la misère. Ses yeux semblaient se tenir à l'écart du reste de son corps, tels deux lampadaires isolés au coin d'une ruelle obscure et abandonnée. La douce flamme qui en émanait, avec une extrême fragilité, ne suffisait pas à éclairer les alentours. Une fragilité qui contrastait avec une impression de robustesse divine dont aucun souffle ne semblait pouvoir venir à bout. Tel un buisson ardent, ses yeux brillaient sans jamais illuminer, se consumaient sans jamais s'éteindre. Face à ce visage ravagé par la pénibilité du monde, Edvard eut alors une révélation. La ressemblance du clochard avec le fondateur de la foie Chrétienne n'en était que trop frappante, trop troublante. Etait-ce pour cela que son psychiatre, qui vouait depuis toujours un culte de la personnalité au Christ, choisissait de s'adonner à un acte digne de Sodome et Gomorrhe avec cet apôtre du désarroi ? Edvard ne put réprimer cette question, ne faisant qu'empirer son mal de crâne.

La langue du psychiatre se confondait désormais avec celle du clochard, leur salive ne faisait plus qu'une. Le clochard semblait trop ivre pour réagir.

La scène s'arrêta aussi subitement qu'elle avait commencé. Comme tiré violemment d'un profond sommeil, Edvard était de nouveau en thérapie en présence de son psychiatre. Il se mit à sentir les gouttes qui perlaient sur son front. Ces quelques millimètres cubes de transpiration étaient son seul lien avec la réalité. C'était sans compter sur ce que son psychiatre s'apprêtait à lui dire.

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