En ouvrant les yeux Edvard ressentit une atroce douleur au crâne. Des tambours orientaux résonnaient de plein fouet entre chacun de ses neurones réduisant son caisson cérébral à un irréversible état de bouillie. Il parvenait tout juste à distinguer les éléments qui l'entouraient des apparitions soudaines produites par son cerveau endolori. Les formes se fondaient les unes dans les autres dans un mouvement ondulé infini.
« Qu'est-ce qui a bien pu se passer ce soir ? » se demanda le jeune homme au physique frêle.
Frottant ses doigts noircis par la poussière contre ses yeux verts gonflés, Edvard reprit peu à peu ses esprits. Les lignes se ré-agencèrent progressivement pour dessiner les contours d'un décor des plus effrayants. Il ne se trouvait visiblement plus dans le bolide d'Adama. Rien ne bougeait. Seul le bruit crispant et régulier des gouttes d'eau sur la tuyauterie venait rompre le silence abyssal qui l'entourait. Il se sentit comme enfermé dans l'une de ces boites métalliques qu'utilisent les chercheurs pour explorer les fonds marins. Son souffle devint de plus en plus lourd, ses respirations de plus en plus saccadées. À l'image d'un bagre lau lau sauvagement pris dans l'étreinte du pêcheur, Edvard avait de plus en plus de mal à respirer. Il étouffait dans cet espace confiné. Soudain une claque d'air glacial lui frappa le visage. Une ombre se tortilla sur sa droite. Il reconnut aussitôt la tignasse emmêlée et grasse du clochard. Un filet de sang dégoulinait du front du paria sans dénomination propre ni domicile fixe. Edvard scruta les autres recoins de la boîte dans laquelle il se trouvait prisonnier. Il distingua le corps longiligne de son psychiatre affalé sur un banc vulgairement cloué au mur couleur bitume. Il ne bougeait pas. Il gisait là, inerte. La vive douleur qu'Edvard ressentit aux poignées lui indiqua qu'ils avaient été emmené ici menottés tels des criminels de la pire espèce. Qu'avaient-ils bien pu faire pour en arriver là ? Les souvenirs de la nuit tourmentée ne revenait pas à la mémoire endommagée du pauvre Edvard.
Un homme en uniforme fit son apparition. Son visage lui revint immédiatement et les souvenirs se mirent à défiler dans un ordre chaotique. C'était le policier. Le même policier qui les avait arrêtés. Le même policier qui les avaient amenés au poste avec une violence digne d'un film de Tarantino. Edvard fut choqué par la vivacité des images qui défilaient dans son cerveau meurtri. Il en vint même à douter de la réalité de ces reconstitutions. Les coups de matraque pleuvant sur le clochard qui avait pris peur et avait tenté de s'enfuir maladroitement. Le sang arrosant abondamment le visage de Monsieur André sans pour autant le perturber. Des coups. Des coups. Toujours des coups. Encore des coups sur le corps inerte, sans défense, allongé sur le sol du clochard. Le besoin irrépressible d'intervenir. Puis plus rien.
Le lieutenant Biramou hurla en direction d'Edvard:
- Jeune homme, debout ! On est venu te chercher. Tu peux y aller.
Pétrifié par le sens que prenait toute cette scène, Edvard mis quelques instants à intégrer la situation dans laquelle il venait de se trouver. Il était en prison. Seuls les hors la loi se retrouvaient en prison, lui avait-on appris. Il était donc un hors la loi. Lui qui respectait jusqu'au moindre commandement de sa mère était désormais fiché comme ennemi de l'Etat et de l'ordre.
Alors qu'il se levait, le sol sembla se dérober sous ses pieds. Ce soir tout s'était écroulé. Tout ce qu'il avait été n'était plus. Ce soir tout n'avait été que chaos.
Edvard fut frappé par la déstabilisante impression qu'il ne ressortirait pas indemne de cette nuit passée en présence d'un psychiatre dérangé, d'un clochard kidnappé et d'un chauffeur illégal.
Comme par hypnose, une voix retentit au plus profond de sa boîte crânienne. C'était la voix du psychiatre qui résonnait comme celle du curé dans la cathédrale. Elle reprit avec un malin plaisir le verset biblique cité dans la voiture : " Et la Terre était solitude et chaos".
Il en était à présent convaincu. C'était l'effet recherché par ce psychiatre complètement allumé. Jamais Edvard ne s'était senti aussi seul qu'en se réveillant dans cette cellule crasseuse. Jamais il n'avait été emporté par un tel tourbillon d'événements chaotiques qu'en posant le pied dans ce maudit taxi.
Sa mère était là. Les larmes ruisselaient sur son visage autrefois étincelant et ravissant.
Edvard la regardait pourtant avec un certain détachement. Il était hors de lui, hors du monde.
La deuxième séance de thérapie était prévue la semaine suivante.
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Psychopathérapie
AdventureComment trouver sa place dans un monde qui ne tourne pas rond ? Essayez cette thérapie qui rend fou assurée par un psychiatre qui n'en est pas un !