Lettre 6

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Fait à Lyon le lundi 22 mars 2021

 Chère Nophélie,

Je n'ai qu'une heure à attendre avant de savoir ce qui s'est passé – du moins ce que tu auras jugé bon de m'informer –, alors je ne vais pas trop m'attarder sur la semaine passée qui fut un peu triste en ton éternelle absence. Si ça ne t'ennuie pas, j'aimerais directement parler de ce lundi matin.

Comme prévu, je suis entrée en cours d'arts-plastiques sans t'accorder un regard. Et j'avoue avoir eu beaucoup de mal à tenir mon indifférence à la vue de tes mains tremblantes et de tes quelques sursauts. J'ai essayé de rester absorbée dans la construction de mes tours en papier. Malgré ma peur, je n'ai rien fait tomber, à la plus grande joie d'Elena qui s'est investie corps et âme dans ce projet en duo. Mais ce qui m'a surtout impressionnée aujourd'hui, ce fut mon visage impassible lorsque Justin a dû donner son carnet de liaison à la professeure. À ce moment précis, je me maudissais intérieurement. Il suffisait d'un rien pour que mon plan tombe à l'eau, et bien évidement, Justin est parvenu sans le savoir à le déjouer en retardant son départ normalement calculé.

À la sonnerie, j'ai rangé mes affaires, désespérée. Justin t'a quitté pour récupérer son carnet. C'était fichu. La discussion qui s'est ensuivi entre lui et la professeure allait durer des lustres, et je n'aurais plus qu'à m'en aller, abattue. Sauf que le vent a tourné, et par la plus inattendue des coïncidences, elle l'a laissé partir fissa. J'ai compris alors qu'on pouvait toujours parvenir à nos fins, et n'ai pas eu besoin de relancer Elena. Cette dernière a couru derrière Justin, l'a collé contre le mur près de la porte, afin qu'il ne puisse pas voir la salle de classe. Préparée, j'ai relevé la tête, prête à t'attraper pour te faire mon discours. Or, tu ne m'en as pas laissé le temps. D'un geste rapide, tu as déposé face à moi plusieurs feuilles blanches en me disant d'une voix tressaillante : « ces papiers méritent un séjour au frigo, tu ne crois pas ? ». Sur l'instant, je suis restée bloquée dans l'incompréhension totale, ne parvenant qu'à balbutier des propos inintelligibles face à ton visage tourné vers le mien. Ton regard angoissé et effrayé m'a fait néanmoins taire, et je t'ai laissé filer, sans savoir si cela avait été le choix le plus judicieux. Rapidement, j'ai déposé les feuilles dans ma chemise le teint le plus décontracté au possible, et j'ai abandonné la professeure, Elena et toi avec Justin. J'ai d'ailleurs failli éclater de rire en remarquant ses joues cramoisies – sûrement du à la gêne que notre amie lui avait infligé – mais j'ai pris sur moi pour glousser et extérioriser mes émotions une fois loin de vous. Depuis, je n'ai revu ni Elena ni toi. Pour elle, tu dois savoir pourquoi. J'imagine qu'elle n'a pas lâché Justin d'une semelle, autant qu'il ne t'a pas laissé tranquille. Juste en imaginant la scène, je ne peux empêcher mes entrailles de se tordre de rire.

Comme tu peux t'en douter, j'ai – une fois rentrée chez moi – couru à mon frigo pour y glisser ton offrande. Puis je suis allée dans ma chambre pour t'écrire cette lettre. Cela fait environ une heure et quart que ton trésor « bronze au soleil », et cela ne m'étonnerait pas si je me « brûle » la main en l'attrapant. Après tout, j'ai sûrement un peu trop tourné le bouton « hammam ». Tu m'excuseras de cet abandon si rapide, mais la réaction de ma mère risque d'être stupéfiante quand elle découvrira ce que j'ai mis au frais. Surtout sans avoir le contexte au préalable ! Elle ne sait même pas qu'effacer quelque chose au frixion peut se révéler avec le froid. Et je dois avouer que cette idée de ta part est aussi sublime que désespérante. Qu'on soit obligée d'en arriver là...

Bon, j'avoue que c'est bien plus pour satisfaire ma propre curiosité que je vais m'en aller miss. Sache qu'en aucun cas je souhaite t'importuner, je n'en aurais pas les cordes.

 À très vite,

 Diana, ta chère et dévouée, débordante d'amitié.

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