Lettre 7

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 Diana,

Tout est de ma faute. Ou de celle de mon père. Je ne sais pas.

Tout à cause de cette fichue lettre. Je t'explique.

Juste avant de vous retrouver à la fête, j'ai rédigé le début du brouillon d'une lettre que je comptais donner à Layane. Pour fêter notre première année de couple, j'avais trouvé que c'était une super idée. Donc j'ai écrit quelques paragraphes à la va-vite, et tu imagines bien que ça ne parlait pas d'amitié hein.

Bref, le truc, c'est que j'ai accidentellement oublié de le cacher avant de partir. Ma mère l'a trouvé en fouillant ma chambre une énième fois et l'a donné à mon père... qui n'a pas super bien réagi. Quand je suis rentrée à la maison, je n'avais qu'une envie : prendre une douche et dormir. Mais je ne parlais pas d'une douche de vaisselle et de meubles, non. À peine arrivée, Mattew m'en a fait voir de toutes les couleurs. Les larmes ont coulé. Sur mes joues et celles de Kate. Pas sur celles de mon père. J'ai souffert. Et j'ai compris que ce n'était que le début.

Il a dit des choses qui font mal. Un raciste. Mon père est un raciste. Un homophobe. Un putain d'homophobe. Ses propos étaient de trop. Venimeux. Cette ado-là n'est pas ma fille a t-il craché. Ma fille se mariera avec un homme, un bon. Elle aura des enfants. Elle sera belle, intelligente. Les voisins parleront d'elle. Et ma fille fera honneur à notre nom. Et cette Nophélie là, qui a écrit ces mots à cette... Layane – il a pris un air si stupide à ce prénom que je me suis effondrée au sol –, cet individu, cette Fille. Ce n'est pas ma fille.
Tous mes cauchemars prenaient vie. Mes frayeurs vis-à-vis de mon orientation sexuelle. Et je n'ai pas osé parler. Ça n'aurait fait qu'aggraver mes fautes. Je suis coupable. Une fautive. Et il me l'a bien fait comprendre. Je l'ai donc cru. Pendant plusieurs jours je l'ai cru. Oui je suis une bonne à rien. Oui je suis une honte. Oui je suis un monstre. Oui ceci, oui cela. Et pourquoi avoir capitulé ? Parce que j'avais peur. Mais aujourd'hui c'est fini, terminé. Je n'en peux plus. Ce qu'il fait n'a rien des gestes d'un père.

Chaque soir après les cours, il me donne des coups et me fait regretter. Il m'enferme dans ma chambre sans rien manger. Et ce n'est qu'à minuit, quand il dort profondément, que ma mère ouvre la porte pour me donner un bouillon de légumes et de viandes.

Je meurs de faim. Je ne mange quasiment plus rien. J'ai perdu du poids. Je me sens sale. Mentalement j'éclate. Je ne peux plus respirer. J'ai constamment peur qu'il me touche. Et il semble n'éprouver aucun regret. Son visage reste impassible chaque heure de la journée. Or il n'est pas le seul. Lorsque mon père part au travail en claquant la porte, ma mère rentre dans ma chambre et se met à parler pendant cinq minutes sans s'arrêter. Elle tient des propos racistes aussi, envers moi, envers tous les gens « différents » comme elle nous appelle. Puis elle s'en va, sans un câlin ni un pardon. Elle ne me frappe pas elle. Ses mots font juste mal, mais je les mérite.

Au collège, mes parents ont vite compris que je pouvais céder et tout avouer. Alors, ils ont demandé à mon cousin de venir. Mon cousin est aussi homophobe je précise. Et comme Mattew, il n'hésite pas à user de la violence. Il a de suite accepté de me surveiller. J'étais tétanisée. Je déteste Justin. Il est horrible. Pour lui, un membre de la famille qui est différent doit être remis sur le droit chemin. On se demande bien d'où vient son éducation si « parfaite ». En tout cas, maintenant il est là. Il me suit comme un chien. Et il fait son boulot excellemment bien. Je n'ai jamais eu l'occasion de m'approcher de quelqu'un d'autre que lui ou des adultes. Donc j'ai compris que c'était trop tard.

Je regrette amèrement de n'avoir pas parlé le premier jour. J'aurais du. Mais cette fois-ci c'est trop tard. Mon plan est tellement bidon qu'il tombera forcément à l'eau. Cette lettre ne parviendra jamais entre tes mains. Elle sera très vite repérée. Je serai forcée d'avouer. Et la cascade me tombera dessus dès que je m'accroupirai. Mais je le fais quand même, je garde espoir. De toute manière, je n'ai plus que ça. De l'espoir.

Pour mes cheveux, je suis désolée. Ce n'est pas de moi. Après une violente bataille avec mon père – où seulement lui a combattu – je tenais une preuve visible sur moi : l'état de ma coiffure. Du sang, des débris de verres et des échardes parsemaient mes mèches et mes nœuds. Il l'a vu, et a de suite attrapé les ciseaux pour me couper les cheveux. Il a pris soin de ne pas faire apparaître mon cou parsemé de bleus. Et encore une fois, comme tous les soirs, j'ai pleuré.

Je n'en peux plus. J'ai besoin d'aide. La sortie du tunnel me paraît bien trop loin. Je ne pourrai jamais m'en sortir. Je ne sais plus quoi faire. Mon quotidien est devenu l'enfer sur Terre.

Dis à Layane que je l'aime de tout mon coeur. Dis-lui tout. Je ne veux rien lui cacher. Elle doit savoir. Et précise bien que ce n'est aucunement de sa faute. Elle aura son cadeau, je lui promets. Je ne veux pas qu'elle se fasse du mouron. Ça va bien finir par se tasser. Je finirai par retourner au théâtre. Mais en attendant, je souffre, et j'en suis sincèrement désolée.

 Nophélie.

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