Fait à Lyon le mardi 16 mars 2021
Chère Nophélie,
Je ne sais plus quoi penser. Si ce n'est que Justin ne t'aime pas, et que toi non plus. Mais, ce qui me stupéfait le plus – m'horrifie surtout –, c'est que le problème qui te poursuit est bien plus important que je ne le pensais. J'avais beau m'imaginer les pires scenarii dans ma tête tout en dédramatisant la situation dans mes lettres, je me disais dans mon coin que c'était loin d'être grave. Sauf que ce début de cours d'arts plastiques, je crains ne jamais pouvoir l'oublier.
Lorsque tu es entrée en classe, je suis parvenue à accrocher ton regard. Je t'ai indiqué la chaise vide à côté de moi pour t'inviter à prendre place, mais au lieu de cela, tu t'es dirigée vers le garçon avec qui tu passes ton temps (Justin). J'ai senti qu'il me fusillait du regard. Quant à tes yeux, ils exprimaient une peur sincère, tout en me transmettant un message explicite : « Je ne peux pas ». J'ai alors compris que le souci ne venait pas du vouloir, mais du pouvoir. Tu étais empêchée de venir me parler. Et je suis certaine que Justin n'est pas innocent dans cette affaire.
Tu t'es donc approchée de son bureau plutôt que du mien, et, juste avant de t'asseoir, tu as rejeté tes cheveux mi-court sur le côté. Assez fort pour que je vois cette trace violacée sur la peau de ton cou, tout en restant assez discret pour que les autres ne la remarquent pas. Néanmoins, Justin n'a pas été dupe, et l'énorme claque qu'il t'a assenée après le cours m'a confirmé, et son implication dans le problème, et l'absence d'amour qu'il te porte.
Je ne sais pas ce qui m'a le plus effrayé entre la violence de cet acte et cette marque indélébile. Enfin... avec le recul, j'ai considéré l'hématome comme bien plus dangereux que ce lycéen un peu dérangé, malgré la curiosité qui m'a piquée concernant sa réelle identité. Qui est-il pour avoir osé te toucher comme ça ? L'atroce bruit du claquement résonne encore à mes oreilles, et j'aimerais beaucoup lui renvoyer la pareille pour qu'il juge de lui-même sa faute. Surtout que ce salaud t'a fait jaillir des larmes aux coins des yeux, ce qui n'a fait que décupler sa colère au lieu de susciter un minimum de compassion. Si j'avais été plus proche de vous, peut-être aurais-je entendu les mots qu'il t'a craché à la face. Dans mon esprit, ses postillons se transformaient en épées tranchantes qui, en plus de déchiqueter ton beau visage, se plantaient dans ton cœur pour le briser de l'intérieur. Je sais que ma plume joue un étrange mélodrame en exagérant toute situation et que mon imagination devient trop extravagante, mais je me dis qu'au vu de tout ce qui a pu t'arriver dans le plus grand des silences, mes hyperboles, mes comparaisons et images n'en seront qu'entièrement justifiées. D'ailleurs, parlons de ce qui t'est arrivé ! Cette trace au cou, n'est-elle pas d'une importance capitale pour la compréhension des évènements ? Je crois que si. Tu as pris un risque en me la montrant, alors elle mérite d'être considérée comme il se doit. Cette marque, je suis sûre qu'elle n'est pas la seule à souiller ton corps. Et je suis tout aussi certaine que tu ne te l'ai pas toi-même infligée. Que peut donc en être la cause ? Un accident ? Non impossible. Tu ne me l'aurais pas faite découvrir sinon. Un coup ? Peut-être. Mais de quoi ? De qui ? Si seulement j'avais des preuves plus concrètes que ces hypothèses à moitié infondées...
Mes parents ne sont pas ceux que je croyais, m'avais-tu dit. Ont-ils un lien avec ça ? Mattew pourrait-il vraiment te frapper ? Te fouetter ? Un fouet... Ne me dis pas que tu as eu affaire à cet objet de malheur... Ce serait horrible ! Mes parents et mon frère ont déjà subi le fouet. Et je n'ai aucunement envie d'ajouter ton nom à la liste ! Sauf que malheureusement, ce n'est ni toi ni moi qui le décidons. C'est une possibilité à envisager.
Là, maintenant, seuls deux fauteurs et demi me viennent en tête. Je n'ai pas envie de réfléchir plus que cela sur l'arme utilisée pour l'instant. C'est donc soit Mattew, soit Justin. Et peut-être Kate, même si son tempérament me laisse penser qu'elle est incapable de faire du mal à sa fille. On est néanmoins sûre de rien.
La deuxième question à se poser est : pourquoi ? Qu'as-tu fait pour mériter ça ? Je ne sais pas, mais je pense que tout est lié. Ton comportement, Justin, la claque, l'hématome, cet évènement dont personne ne connais les détails... Tout. Est. Lié. J'ai beau avoir des pièces du puzzle, je n'arrive pas à les assembler. Tantôt elles m'échappent des mains, tantôt elles se volatilisent ou modifient leur forme. J'aimerais laisser cette question en suspens et y répondre bêtement par un « parce que », mais cela fait cinq lettres que je cherche la réponse sans parvenir à trouver des pistes fiables. Je dois avouer que cela m'agace plus que voulu. Mais même si je ne suis pas Sherlock, je parviendrai à comprendre ce qui arrive avant la sonnerie des douze coups de minuit. Je suis prête à employer tous les moyens possibles pour cela, vu que me faire aider par Layane ne suffit pas. Elle a beau te connaître sur le bout des doigts – c'est d'ailleurs assez spectaculaire –, elle n'a pas réponse à tout. Et ce blocus la frustre autant qu'à moi.
J'ai tout de même trouvé une façon pour m'informer un minimum. Quoi de mieux que de déconcentrer l'adversaire direct quelques instants pour recueillir un message de ta part ? Hein ? Bien évidemment, ce n'est pas aussi simple à dire qu'à faire. Or, grâce à Elena qui a bien voulu me donner un coup de main, nous y parviendrons. Te souviens-tu de ce dont je t'ai parlé hier, concernant le regard fixé d'Elena sur un point au fond de la cour ? Eh bien en réalité, elle regardait Justin. C'est elle qui me l'a dit ce matin. Pour faire bref, elle le trouve trop craquant, trop mignon, trop gentil, trop beau, trop doux, trop charismatique, trop tout ! Tu comprends alors – autant que moi – qu'elle a indéniablement pincé sur lui. Étrange coïncidence n'est-ce pas ? Connaissant Elena, tu sais qu'elle passe deux, trois jours à contempler sa proie sous tous les angles avant de lui sauter dessus ! Et puis, la suite va de même... Elle finit par se lasser puis rompt avec le petit copain une ou deux semaines plus tard pour se rendormir dans sa tanière sans une once de remords ou de tristesse !
C'est de cette déclaration qu'est survenu mon plan ! J'en ai parlé avec elle, et elle a accepté son rôle. Après tout, cela ne la gêne absolument pas. Elle est tombée sous ses charmes. Je t'explique ce à quoi j'ai pensé :
Lundi prochain, lorsque tu entreras en arts plastiques, je ne te prêterai pas attention, quitte à t'ignorer délibérément si c'est toi qui me regardes. Comme ça, à la fin du cours, quand Justin sera accaparé par Elena en se faisant draguer ouvertement, tu viendras vers moi pour me demander si quelque chose ne va pas, et je te harcèlerai pour avoir une réponse. Elena m'a appris que j'aurai une trentaine de secondes devant moi. J'ai donc façonné un petit discours dans le but de te convaincre de lâcher le morceau. Puis une fois les informations données, tu retourneras avec Justin sans qu'il ne se soit aperçu de rien !
Je sais que ce n'est pas un plan parfait, et que plusieurs facteurs dépendent de sa réussite, mais j'ai décidé de jouer le tout pour le tout. En espérant que tu aies encore un peu de considération et d'amitié pour nous.
Bisous,
Diana, ta future sauveuse.
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Découvrir la vérité
TienerfictieToute la vie de Nophélie, adolescente de 17 ans, a sombré à cause d'une simple feuille, contenant un secret bien douloureux à conserver. Diana, sa meilleure amie, est déterminée à comprendre ce qui se passe, et va relater les évènements dans diverse...