2. JANN

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Quelques heures plus tôt...

—AQUILA—

16 octobre 2027 — 09h08

Je n'ai jamais compris pourquoi on avait besoin d'avoir autant d'escaliers dans cette foutue station. Le Projet Utopia aurait pu être affecté sur une installation de plain-pied, mais non. Au lieu de ça on a eu droit à la bonne vieille Aquila toute rouillée. Comme s'il avait déjà été déterminé que nos recherches ne vaudraient pas la peine qu'on y dépense de trop gros moyens. Et ça me tue de constater que ce dédain-là commence à se refléter autant sur l'équipage. Pourtant, au bout de trois mois, et après si peu de résultats, il fallait sans doute s'y attendre.

Je remonte les escaliers en ruminant et je rejoins le labo. Marcie est là, endormie sur son clavier, en train d'écrire une série infinie de e avec sa tête. Je pousse son bras pour la réveiller et elle passe aux r avant de relever la tête.

— Merde, il est quelle heure ?

— Neuf heures. Et n'essaye pas de me faire croire que t'as passé la nuit à bosser. Je t'ai vu monter dans les chambres hier soir.

Elle râle parce que sa technique n'a pas fonctionné et efface le charabia qui s'est affiché sur son écran. Marcie essaye tout le temps de rattraper des heures qu'elle ne fait pas.

— Qu'est-ce que t'en sais ? Je suis peut-être redescendue après pour vérifier les données du dernier Eddie. Tu sais que cet enfoiré m'a demandé d'effacer les enregistrements parce qu'il assumait pas d'avoir été fermier ?

Je ris.

— Eddie est un connard.

— Comment on s'est débrouillés pour se retrouver avec deux connards sur seulement cinq participants... Je veux dire, statistiquement, c'est vraiment pas de chance.

Je ne peux pas m'empêcher de lever les yeux au ciel en pensant à celle qui complète avec brio le duo de la pire enflure.

— À ce propos, poursuit Marcie, j'ai l'impression qu'elle prend bien son temps.

— J'ai l'impression qu'elle fait un casting des pires versions qu'elle peut nous ramener, je renchéris.

— Qui détrônera la reine des garces ? rigole-t-elle. On pourrait mettre ses différentes versions en compétition pour élire la gagnante du mois !

— Faudrait qu'elle en ramène plus que ça, déjà ! Je continue de penser que la meilleure idée serait de la virer du programme et de prendre n'importe qui d'autre en remplacement. Y'a des gens qui seraient prêts à tuer pour une place, même ici...

— Jann, ne commence pas.

Je lève les mains en l'air, signe que je rends les armes. Marcie n'a jamais aucun problème pour insulter nos deux pires partenaires, mais dès que je propose de prendre des mesures, elle se braque tout net, à coup de « on ne vire pas les gens uniquement parce qu'on ne les aime pas ». Mais est-ce qu'on peut virer les gens quand ils menacent directement le bon déroulé du projet ? Je dirais que oui, mais Marcie refuse d'en entendre parler. Elle trouve que j'abuse. Pourtant si je suis certain d'une chose, c'est qu'Aurore n'a aucune excuse pour son comportement.

Je me lève pour dissiper la tension que cette dernière arrive toujours à imposer même quand elle n'est pas dans les parages – tu parles d'un talent !

— Café ?

Marcie acquiesce et je quitte la pièce.

Quand je reviens au labo avec deux tasses, elle est plongée avec un regard désespéré dans les données de la veille. Elle boit son café comme si elle s'alignait une série de shots. Si seulement le carburant pouvait dissiper un peu la brume dans laquelle on évolue en ce moment.

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