Projet Utopia

15. JANN (part. 2/2)

Je retrouve sans trop de peine la salle aux ordinateurs. L'alarme beugle toujours, même quand je ferme la porte derrière moi et, la lumière rouge rend la scène irréelle. Je retourne sur ma session et j'y trouve un appel manqué. Je le relance dans la foulée et, après quelques minutes, la fenêtre sur l'écran se transforme, laissant apparaître une silhouette à la fois familière et si différente. Lorsque ma mère me sourit de l'autre côté de l'écran, j'ai un mouvement de recul tant je suis surpris. Plus encore que face à mon demi-reflet dans le miroir. Cette fois, je n'arrive pas à prétendre que tout ça n'a rien d'étonnant. Pas face à ce visage, toujours aussi doux, mais qui vient de prendre une vingtaine d'années d'un seul coup. Pas face à ces rides et cet aspect fatigué.

— Jann ! lance-t-elle d'un ton enjoué. J'ai cru que je t'avais encore manqué.

J'ai la bouche sèche, et me contente de lui adresser un sourire, en espérant que la distance parvienne à masquer mon air abasourdi.

— Est-ce que tout va bien, mon chéri ? demande-t-elle, sourcils froncés. C'est quoi cette alarme ?

Heureusement c'est à cet instant que la tonalité cesse enfin. L'éclairage revient à la normale et je réponds.

— Juste une fausse alerte.

J'espère que c'est le cas, du moins. Mais ce n'est pas ma priorité, pour le moment. Je dois essayer de comprendre ce qu'il se passe. J'ai l'impression d'avoir eu des moitiés d'informations, crachées avec précipitation, et je suis totalement largué.

— Papa est là ?

Ma mère semble surprise par ma question. Elle hésite avant de répondre.

— Pourquoi tu me demandes ça ? Je croyais que vous ne vouliez toujours pas vous parler...

Ça me fait un coup. Comme si on me frappait en plein cœur, sans que j'en connaisse la raison. Ma voix, comme un souffle, parvient par miracle à atteindre l'autre côté de l'écran.

— Quoi... ? Pourquoi ?

Ma mère affiche une mine confuse.

— Ça fait des années que j'essaye de te faire changer d'avis. Est-ce que tu vas bien ?

Les mots me manquent pour la questionner sur le sujet, tant je ne m'attendais pas à une telle tournure dans notre conversation, et elle en profite pour changer de sujet, comme si c'était quelque chose qu'elle voulait éviter.

— Ça se passe bien, le voyage ? Pas trop fatiguant de faire partie de l'équipe de veille ?

Ça confirme ce que j'avais cru comprendre sur notre rôle, à Davin et moi. Et maintenant, je comprends pourquoi elle a des cernes. Elle a dû se lever au beau milieu de la nuit pour pouvoir m'appeler.

— Ça va, je crois.

Je n'en ai aucune idée, et je me demande si ça se lit sur mon visage. Je finis par décider qu'il y a plus important, là tout de suite, que de savoir si j'ai l'air normal.

— Maman, est-ce que je peux te poser une question qui va peut-être te paraître un peu bizarre ?

Elle fronce les sourcils.

— Oui, vas-y.

— La Terre... Est-ce que tout va bien ? Est-ce qu'il s'est passé quelque chose ?

Au lieu de paraître déconcertée, le regard de ma mère s'agrandit, comme si elle comprenait quelque chose.

— Tu viens du passé, c'est ça ?

Mon souffle se coupe, mais je parviens tout de même à répondre.