35. JANN

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Aurore n'est jamais particulièrement douce, mais il faut croire qu'elle est encore plus sèche quand quelque chose l'agace – le fait de ne pas pouvoir se rendre elle-même dans le futur, notamment –, puisque j'atterris avec fracas sur mon lit alors que j'y étais déjà allongé. Je ne sais pas trop comment elle s'y est prise, mais le temps de comprendre ce qu'il m'arrive, je roule à terre en me cognant la tête contre la table de chevet.

Je me redresse en jurant, frottant mon crâne comme si ça pouvait faire passer la douleur. Quelques secondes plus tard, mon réveil sonne. Je l'arrête, confus. Il est dix-neuf heures. Qui met son réveil à dix-neuf heures ? Le moi de deux-mille cinquante, visiblement. Mais pourquoi ?

Je regarde autour de moi pour analyser ma chambre. Elle m'est si étrangement familière qu'il n'y a pas de place au doute: il s'agit de la même architecture de vaisseau que celui sur lequel j'avais atterri lors de ma dernière visite dans le futur. Trait pour trait. Ce qui n'est pas pour me rassurer. Si j'ai choisi de venir fouiner spécifiquement en deux-mille cinquante, c'était pour comparer les versions. Pour voir à quel point le micro-changement de la venue de Rory pouvait avoir modifié un futur que je ne voulais pas avoir.

Le Projet Utopia a beau toujours être un échec, je ne peux pas croire que je me retrouve à prendre les mêmes décisions. Celles qui m'ont mené à fuir. Mais il peut tout aussi bien s'agir d'un autre vaisseau. Il le faut.

Je sors de la pièce pour m'avancer dans les couloirs, espérant m'accrocher à des détails détonnant, quelque chose qui me prouverait que je ne suis pas là où je crois, mais ce n'est pas le cas. Je reconnais ce vaisseau, c'est certain.

Je passe devant la salle aux ordinateurs, celle où j'avais pris l'appel de ma mère, et continue d'avancer vers la salle de contrôle des opérations. Le réveil qui sonne à dix-neuf heures ne peut pas être une coïncidence. Je fais partie de l'équipe de nuit. Encore. Parce que ce futur est le même que celui dont j'ai déjà été témoin. Mais pourquoi ?

Lorsque j'atteins la salle de contrôle, je m'attends à trouver Davin, mais c'est une femme, tournoyant dans une chaise, qui occupe la salle. Quand elle me voit entrer, elle cesse de tourner.

— Salut.

— Salut. Il n'est pas là Davin ?

Elle fronce les sourcils, et pendant un instant je m'attends à ce qu'elle me demande de qui je parle. L'espoir qu'il s'agisse d'un futur différent a à peine le temps de se glisser qu'elle rétorque:

— Pourquoi t'es en pyjama ?

Je baisse les yeux sur ma tenue, mais ne m'en formalise pas pour autant.

— Davin ?

Elle hausse les épaules et jette un coup d'œil à sa montre.

— J'en sais rien. Vous ne commencez que dans trente minutes.

Je jette un coup d'œil à la dérobée aux écrans de la salle. Je n'ai pas besoin de les analyser davantage pour saisir qu'il s'agit bien du même vaisseau, au même endroit et à la même destination. Je quitte la salle avant que le silence ne devienne trop inconfortable, et file dans ma chambre. Il ne me faut pas longtemps pour enfiler une tenue et échafauder toutes sortes d'hypothèses toutes plus improbables les unes que les autres quant à la raison de ma présence ici. Quand je me rappelle que je suis là avant tout pour en apprendre davantage sur la pandémie, je décide de filer dans la salle aux ordinateurs.

Je me connecte en un clin d'œil en utilisant la session à mon nom, et ouvre ultranet sans tarder. Il me suffit de rentrer les mots clés pour obtenir tout de suite les résultats que je cherche, ce qui a le mérite d'être clair: peu importe ce qu'on a changé à travers le passé de Rory, la pandémie a tout de même eu lieu. Bien sûr, ce n'est pas surprenant. Mais j'aurais aimé qu'on me facilite la tâche.

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