7. RORY

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Moment présent...

—AQUILA—

Avec Jann qui m'observe, je dois faire un effort pour contrôler le tremblement de mes mains que provoque la petite lumière verte sur le coffre. Vingt-neuf douze. Je ne sais même pas pourquoi j'ai essayé cette combinaison. J'aurais voulu ne jamais l'essayer. J'aurais voulu que ça ne fonctionne pas. Que le coffre reste fermé, qu'il ne s'ouvre plus jamais. Que son contenu se désintègre sous mes yeux, même. Tout, sauf ça. Cette petite lumière verte qui confirme ce que je redoutais le plus. Et alors que je me tourne avec un faux sourire, je sens le poids de la réalisation s'abattre sur moi. Car je sais ce qu'il y a dans ce coffre. Je le sais sans avoir besoin de l'ouvrir. Une confirmation. Sous quelle forme, je l'ignore. Mais c'est certain. Le code en est la preuve.

Je me tourne vers Jann, qui s'est tu.

— Super ! À demain, alors.

Cette voix n'est pas la mienne. Elle provient de quelque part, au plus profond de mon être. Elle est grave et me donne la sensation que je peux vomir à tout moment.

Jann sort, et je fais face au coffre. Une part de moi continue vainement d'espérer. Peut-être que ça n'a rien à voir. Peut-être que c'est une coïncidence. Un choix anodin qu'aurait fait la Aurore dans laquelle je me trouve en ce moment. On est cinq ans plus tard, après tout. Dans une autre dimension, qui plus est. Et si tout était différent, ici ? C'est ce que j'ai pensé, au début. À mon arrivée ici... J'ai cru que, peut-être, ces cinq années témoignaient d'un espoir. Et si c'était ce qu'elle croyait, elle aussi ?

Ouvre ce putain de coffre, je m'intime.

Dedans, un épais cahier. Un journal. Rien de plus, rien de moins. Et avant même de l'ouvrir, je sais. Je sais, car j'aurais fait la même chose. Je sais, car les larmes inondent mon visage alors que ma main se referme sur sa couverture toute de cuir. Et je m'en veux, de me laisser envahir par le désespoir. Comme si c'était la première fois que j'y était confrontée.

Depuis le temps, on pourrait croire que je suis habituée. Mais alors pourquoi ça me fait encore cet effet ? Je soupire et tente de chasser les larmes qui me brouillent la vue. La réponse est simple. Évidente.

L'espoir, ce traître. J'ouvre le journal.

—————

Le lendemain, je cesse enfin d'être une bête de foire. D'autres versions s'invitent à bord, et je me retrouve reléguée au second plan, ce qui n'est pas plus mal. Je parviens à me faire oublier, même d'Eddie, qui disparaît derrière une version sensiblement similaire à l'original, mais qui a le mérite de n'avoir rien à me reprocher – quand bien même je ne sais toujours pas quel est le problème de celui d'origine.

Mais s'il y a un truc qui m'intéresse plus que les préoccupations futiles sur lesquelles tout le monde semble se concentrer, c'est les données auxquelles j'ai enfin accès, tant au labo que dans le journal, sur les autres versions qui sont venues avant moi.

Assise dans un coin pendant qu'Hailey subit un interrogatoire semblable à celui auquel j'ai eu le droit à mon arrivée, j'épluche mes réponses préalables sur une petite tablette que Jann m'a confiée.

En pensant à lui, je ne peux pas m'empêcher d'être énervée. D'une manière ou d'une autre, c'est lui qui m'a donné espoir. Et c'est lui qui l'a anéanti. S'il ne m'avait pas suivie, la veille, je n'aurais sans doute pas claqué ma porte si fort. Le cadre serait resté en place, et je n'aurais jamais remarqué le coffre.

Quand j'y songe, je réalise bien que c'est idiot, mais je ne peux pas m'en empêcher. Il me faut remettre la faute sur quelqu'un, sinon j'ai l'impression de couler. Comme si ça pouvait arrêter la sensation. Comme si ça pouvait changer quoi que ce soit. Il n'est même pas conscient de ça. Personne ne l'est, et ça confirme mes premiers instincts, avant que je n'ai eu à le lire de moi-même, d'une écriture pourtant si différente de la mienne.

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