— Notre spécialité : le katsudon ! Régalez-vous ! clame la génitrice de mon hôte.
Il ne fallait pas me le dire deux fois. Le temps de comprendre les instructions de Yuuri pour tenir les baguettes et c'est parti pour la dégustation !
D'après ce que je sais – j'aime me renseigner sur les spécialités culinaires des pays ou régions où je voyage – le kastudon se compose d'un bol de riz chaud avec du porc pané et cuit dans un œuf battu. Riche en matières grasses et protéines, c'est assez consistant pour tenir un hiver canadien. Je pousse une exclamation étouffée par ma bouche pleine. Les tranches de porc panées fondent agréablement sur mes papilles, un mélange parfaitement moelleux et chaleureux. J'ai littéralement dévoré mon plat et commandé un deuxième en moins de temps qu'il ne m'en faut pour exécuter dix pompes.
Athlète, pas athlète, j'ai toujours voué une place importante à la nourriture dans ma vie. C'est la première chose que je fais quand je visite un pays : trouver un resto qui sert des plats typiques. Un plat c'est une histoire, des personnes, des émotions. Si je n'étais pas née sur des patins je serai devenue cuistot ou critique gastronomique internationale rien que pour le plaisir de manger.
C'est quelque chose que je peux envisager maintenant...
Malgré mon orgasme gustatif je commence à me sentir légèrement mal à l'aise. Le regard perçant de Plisetsky, qui vient tout juste de s'asseoir à notre table accompagné de Viktor, ne me quitte pas une seconde. Qui peut déguster tranquillement son repas dans ces conditions ?
— Si tu espères que je disparaisse sous la puissance de tes globes oculaires tu sous-estimes ma volonté de finir mon repas en paix, Plisetsky.
Je n'obtiens qu'un décevant « tsk » en guise de répartie. Viktor saute sur l'occasion :
— Ma petite fée, j'ai fais appel à toi parce que Yurio a besoin de ton talent naturel pour exprimer des émotions à travers ton patinage et faire ses débuts dans la catégorie des seniors. Cela lui donnerait un formidable coup de pouce... S'il-te-plaît Yurio ne commence pas, l'averti-t-il avant que le blond n'ouvre la bouche. Tu as un manque de facilité dans le domaine.
— Un manque que je pourrais aisément palier si ce n'était un patineur à la renommée de bourrique caractérielle Vik, je pointe mes baguettes vers l'objet de ma défiance. Sinon pourquoi, toi, le quintuple champion, viendrait me demander un coup de main ?
— Mais il veut progresser.
— Il veut gagner, c'est différent. Et puis il vient de remporter les derniers championnats du monde juniors, il a déjà ses propres coaches sur le dos.
— Il cherche la perfection, comme nous tous.
— Il cherche la gloire.
— Il se demande ce que ça peut bien te faire ce que je veux si je l'atteint en rendant ma glisse meilleure.
Poupée russe s'agite de mécontentement sur son coussin de sol (pas de chaises dans la tradition nippone).
— Le patinage artistique est un sport, mais surtout un art. Celui qui cherche la gloire ne connaît pas la beauté de l'art qu'il pratique, il pourrait même lui manquer de respect, le sermonné-je d'un air dédaigneux.
— Peur que je devienne meilleur que toi ?
— Dans tes rêves Barbie, souris-je, aimable comme un chat qui feule. Au vu du reste du monde, nous sommes sur le même piédestal parce-que nous avons chacun remporté l'or aux championnats mondiaux de notre catégorie. Aux yeux du cercle sportif, je te regarde de haut.
L'aubergiste dépose mon deuxième bol fumant, s'incline et repart aussitôt comme si elle avait peur de se prendre une balle dans la mêlée.
Un ange passe. Plisetsky me dévisage avec la claire intention de m'étrangler sur place. Tout le monde à cette table sait que la dispute ne mènera à rien. Les deux russes n'obtiendront pas mon aide tant que je n'aurais rien à y gagner. Il me faut bien une compensation si j'accepte de me coltiner Cruella non ? Je les laisse bougonner dans leurs barbes et remuer leurs méninges tandis que je touille mes baguettes dans le riz brûlant.
— Vingt euros.
On y est.
Viktor connaît ma situation, il sait que je ne mendie pas mais ne refuse pas d'argent. Je ne suis pas SDF ni même sans emploi, vu que j'ai un mi-temps en restauration depuis quelques mois. Disons que je ne manque pas une occasion de prendre mon indépendance et le meilleur moyen pour l'être dans ce monde capitaliste est d'avoir une fichue fiche de paye. Dommage que la plupart des boulots à ma portée sont tout juste assez rémunérés pour que je me paie un studio à Moscou. Heureusement qu'Irina a tenu à me garder près d'elle même lorsque je lui ai annoncé mon abandon des compétitions.
Je dresse donc l'oreille et déguste mon riz feignant de ne pas écouter.
— Pour le mois complet, continue Viktor.
— Une séance coûte en moyenne vingt-cinq euros pour une heure, tu crois vraiment que c'est ce que tu vas me payer pour la journée ? On s'entraîne environ dix heures au total. Et tu n'as même pas prix en compte la prime de pénibilité, boudé-je.
Viktor mesure ses futures dépenses en se caressant le menton. Barbie dévore choisi de dévorer son assiette plutôt que moi.
— D'accord, va pour trente euros...par jour pour le mois.
— Combien de jours par semaine ?
— Cinq sur sept, pas le week-end en somme.
Je stoppe ma mastication, maintenant intéressée par son offre d'emploi.
— Cent-cinquante par semaine... Donc huit-cent-quarante euros en tout... marmonné-je derrière mon poing, les yeux perdu entre le porc pané et le riz.
— Je ne peux pas monter plus, c'est assez illégal comme ça de rémunérer une mineure au black et en dessous de la valeur du SMIC**, grogne-t-il.
— Alors monte au dessus de la valeur du SMIC. Tu t'habilles chez Prada, Vik...
— Je n'ai aucune certitude que tes conseils apporterons un résultat satisfaisant, rétorque-t-il.
— Alors c'est un challenge, conclus-je.
Le son des baguettes contre les bols. Un silence. Je laisse planer le doute d'une manière un peu sadique. Et je me réjouit intérieurement de voir les phalanges de Plisetsky se crisper autour de son verre.
J'te tiens en haleine peut-être ? Aller...
— OK, dis-je simplement. Je vais voir ce que je peux faire.
Le pauvre Yuuri Katsuki, il n'était même pas concerné mais c'est lui qui retenait le plus sa respiration. J'ai cru qu'il allait s'évanouir. Il ne supporte déjà pas le stress alors le conflit...Quant à Viktor il fait comme si de rien, il savait comment m'avoir. Je ne sais pas si c'est une bonne chose en fait...
Plisetsky, lui, n'a rien d'autre à faire que de me fixer avec une moue mi-figue mi-raisin. Il devrait être content parce que je n'étais pas la plus mauvaise des Fées d'Irina. Je pourrais même pousser et dire que j'étais l'une des meilleures de ma catégorie. Moi frimeuse ? Pas du tout. Demandez aux médias pourquoi ils m'auraient surnommée Icy Princess si je n'époustouflais pas les juges à chaque chorégraphie. Ils vous répondront qu'ils notaient sourires en coin et larmes aux yeux.
Ensuite ils enchaîneront sur ma sortie des compétitions du jour au lendemain, sans annonce.
Je soupire intérieurement. Je me concentre sur la carte à la recherche d'un dessert qui comblera mes soucis. Car ma fierté cache la réalité : un an que je n'ai pas mis un pieds sur la glace. Autant dire une éternité.
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**NDA : je précise que j'ai pris en compte mes connaissances sur le SMIC français, pour m'éviter une conversion compliquée et probablement imprécise (et pas franchement importante pour l'histoire)
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Freeze(d) [Yuri Plisetsky x OC]
FanfictionQui est le plus froid entre la glace et le cœur meurtri d'une adolescente envahie par la solitude et la trahison ? Il existe quatre types d'amours en ce monde : Agape : l'inconditionnel, Eros : le romantique, Philia : l'amical, Storge : le familial...