Chapitre 1

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Artémis.

 J'actionne mon clignotant et me gare devant le domicile de mes parents. Tout en inspirant profondément, je coupe le contact me préparant à la salves de questions de mon père. La recherche de boulot d'aujourd'hui m'a complètement éreintée et j'ignore si j'aurais la force de lui faire face encore longtemps. Je plante mes iris noisettes dans le rétroviseur intérieur et dévisage mon reflet, mes yeux foncés bordés de cernes foncés me donnent cinq ans de plus et j'ignore s'ils sont dus à de la fatigue ou à de la tristesse. Je détourne mon attention en rangeant quelques affaires dans mon sac puis en sortant de mon véhicule pour rejoindre la maison dans laquelle j'ai toujours vécu et où je suis revenu après un an d'absence.

Je ne l'ai quitté que l'espace de douze mois, je devrais donc être contente de la retrouver dans le même état. Mais je n'éprouve que dégoût et lassitude. Absolument rien n'a changé ici. Elle a toujours sa couleur beige délavé qui vire plus sur du saumon maintenant, ses volets blancs couverts de mousses sont fermés au vu de l'heure tardive et le portail à la peinture écaillée est toujours attaché par une chaîne depuis que le mécanisme est cassé. Un rire sec m'échappe en le franchissant, comme à son habitude, mon père avait promis de le réparer et comme d'habitude, il ne l'a jamais fait.

Pour me donner le courage de pénétrer dans la chaleur de la demeure, j'inspire profondément et expire tout doucement pour éviter la crise d'angoisse. Durant plusieurs secondes j'effectue ces exercices avant d'enfin pénétrer dans la véranda pour me déchausser. Je n'ai pas encore mis un pied dans l'entrée qu'un boulet de canon se précipite sur moi. Si je ne serais pas habitué à ce petit manège, je suis certaine que je me serais écrasé sur les fesses. D'une main je caresse la chevelure dorée d'April tout en souriant. Le regard qu'elle m'adresse me noue l'estomac et fait apparaître une boule de bowling dans le fond de ma gorge. Un mélange d'angoisse et de peur qui me pince le cœur. Elle met plus de temps que nécessaire pour relâcher son étreinte, me serrant un peu plus dans ses bras. Du haut de ses quatorze ans, April est l'une des rare de ma famille a avoir très mal vécu mon départ. Après ce qui m'a semblé une éternité, ma sœur s'est éloignée pour rejoindre la cuisine, où les effluves de bœuf s'échappent, ce qui fait réagir mon estomac aussitôt.

— April va te doucher, veux-tu ? Nous passons à table dans dix minutes. Indique la voix douce et mélodieuse de notre mère, Joy.

Je retire mon trench que je dépose négligemment sur le bras d'un de nos fauteuil collé au mur de notre cuisine, avec mon sac à main et me précipite au près des filles. Depuis mon retour ce sont les rares moments où nous pouvons être ensemble. Entre son emploi qui lui prend tout son temps, celui que je passe à en chercher un et les heures ou April est au collège cela devient compliqué d'être toutes les trois réunies. Et je n'ose imaginer leur déception si je leur avoue que je traîne plus que nécessaire à l'extérieur pour fuir les souvenirs que j'ai emmagasiné dans cette maison. Je plaque un sourire sur mes lèvres en rejoignant notre cuisine vert pâle, couleur que ma mère à tenue absolument à avoir dans cette pièce. Joy dit souvent qu'elle l'apaise, moi, elle me déclenche une sacrée migraine.

— Salut m'man. Besoin d'aide ? Je lui demande lorsque je l'aperçois derrière les fourneaux où trônent plusieurs casseroles qui mijotent sur le feu, tout en fredonnant un air de musique.

Quand ses iris absinthe s'arriment aux miennes et qu'elle me sourit, je sens aussitôt mon cœur gelé se réchauffer. Ce simple geste l'illumine, elle est si jolie.

Je m'approche près de ma mère qui dépose un tendre bisou sur ma joue et j'appuie la tête contre son épaule. Ces cheveux blonds s'entremêlent à mes mèches châtain foncé et donnent un drôle de contraste. Son parfum de prune et de jasmin m'apaise illico et détend les tensions qui s'accumulent sur mes omoplates douloureuses. À contre cœur je m'éloigne de notre cocon et me dirige doucement vers notre vaisselier pour dresser la table. Les assiettes à la main, je contemple un moment celle qui m'a donner la vie. Sa taille fine, sa crinière couleur sable, et ses jolis iris verts qui me semblent rieurs lorsqu'elle me surprend à la regarder un peu trop longtemps. Je soupire discrètement, il n'y a pas à dire, Joy est mon opposé avec mes yeux chocolat et mes quelques kilos en trop, j'ai tout pris du côté paternel. Enfin, presque tout, parce que pour choisir les mauvaises personnes, là je suis la championne... comme ma pauvre mère.

— Seulement pour quatre ma chérie, ton père a mangé avant nous. M'annonce-t-elle quand elle remarque que je tiens cinq assiettes. Une soirée d'échec, il me semble. Réponds ma mère tout en remuant le contenu de l'une des casseroles.

— Pour pas changer, je marmonne dans ma barbe.

Elle me lance une œillade où se mélangent colère et tristesse. Jamais je n'aurait imaginée connaître un tel regard et pourtant ma mère a été la première à me le montrer.

Je range l'assiette en trop. Je ne vais certainement pas me plaindre de son absence, au contraire !

Pendant qu'elle termine les derniers assaisonnements, je me perds dans mes pensées en parcourant notre jardin à travers la fenêtre de la cuisine. C'est triste à dire, mais j'aurais espéré me rendre compte à mon retour qu'il y avait du changement. Pourtant, Joy est toujours derrière les fourneaux malgré ses horaires chargés, ma sœur est une éternelle pile électrique, mon frère est constamment enfermé dans sa chambre et mon paternel n'est jamais chez nous. En songeant à lui, un frisson me parcourt des pieds à la tête. Je n'ai jamais été proche de lui, les liens fusionnels que j'ai avec ma mère n'ont jamais réussi à se tisser entre lui et moi. Je pensais que cela venait du fait que j'étais une fille, mais il ne l'est pas plus d'Apollon, mon jumeau. Avant la naissance d'April, Joy nous élevait presque toute seule, ensuite il était un peu plus présent... mais mon départ a dégradé la relation père-fille avec elle.

Par instinct, je porte une main à mon cou et des flashs me remontent en mémoire.

Ses mains autour de mon cou, son regard assassin... Le jour où il m'a arraché une bonne partie de mes cheveux est celui qui m'a le plus traumatisé, tout ça car nous voulions regarder la télé avec mon frère et ma sœur. À partir de ce jour-là et durant un long moment, j'ai coupé mes cheveux longs et arboré une coupe au carré. Jusqu'à mon départ.

Je passe une main dans mes mèches que j'ai laisser détaché et qui aujourd'hui m'arrivent au milieu du dos. Une pensée se fraye un chemin et je la regrette presque immédiatement, mais si je ne veux pas vivre à nouveau un tel enfer, je vais devoir trouver une solution.

Je vais devoir fuir comme à mon habitude...

Et si...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant