Chapitre 12

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La peste qui me serre de demi-sœur ne tient pas compte de mes propos et me pousse d'un coup d'épaule avant de pénétrer dans ma cour. Je souffle bruyamment en lui emboîtant le pas, je sens que cette conversation va être difficile, Charlotte a le don de déclencher des migraines carabinées. J'entends ses talons qu'elle ne quitte jamais s'immobiliser face à l'entrée et tapée sur la terrasse d'un geste impatient. Décidé à ce que cet entretien désagréable ne dure pas plus de temps que nécessaire, je lui passe devant et déverrouille la porte puis jette les clefs dans le vide-poche sur le meuble à chaussure puis reprends la parole aussi sèchement que possible tout en me dirigeant dans mon salon.

— Parle et vite, Charlotte.

— Ce n'est pas une façon de recevoir sa sœur, Ezio. lance-t-elle dans mon dos en me rejoignant avec une grâce féline.

Mon prénom dans sa bouche est comme une insulte. Il me donne la nausée et déclenche une grimace de dégoût que je ne parviens pas à cacher.

— Demi-sœur. Dis-je en insistant plus que de raison sur le premier mot.

Elle lève les yeux au ciel tout en jouant avec une mèche de ses horribles cheveux blond filasse et s'installe dans l'un de mes fauteuils.

— Tu sais que la fête que j'organise pour mon ancienne promo de lycée arrive à grands pas.

J'émets un simple « hum » tout en me dirigeant vers mon bar pour me servir un verre de vin blanc. Je ne compte plus le nombre de fois que cette rapiate est venue pour me supplier d'être présent pour cette stupide soirée.

— J'aimerais vraiment que tu sois là, tu es quand même de mon sang et...

— Dis plutôt que tu veux que je fasse une apparition parce que je détiens quatre-vingts pour cent des parts de la société et que tu espères que je vais permettre aux fils de bourges qui profitent de ton nom pour travailler pour nous. Oh, à moins que ce soit pour épater quelqu'un à qui ton argent ne signifie rien ou ne l'impressionne pas ? La coupé-je en aérant le liquide clair dans mon verre.

La grimace qu'elle m'offre vaut tout l'or du monde et j'adorerais la prendre en photo pour m'en délecter pendant de longues années. Cependant, je ne lui montre pas que j'aime la voir ramer pour avoir une faveur de ma part, elle qui m'a de nombreuses fois rabaissé et humilié dans notre jeunesse en me disant que j'étais inutile.

Maintenant, je savoure cette assurance que je n'ai pas toujours eue. Enfant, j'étais le vilain petit canard et j'ai très vite compris que cela ne servait à rien de répondre si ce n'est à me prendre des coups.

Charlotte n'a pas été la plus horrible, ma génitrice la dépasse sur des kilomètres. Le jour où j'ai débarqué sur le pas de sa porte un sourire timide aux lèvres et quelques vêtements que j'ai dérobés à ma dernière famille d'accueil, je ne m'attendais pas à la claque que j'ai reçue. Pas une gifle physique, non, mais une humiliation comme jamais je n'en avais subi. Ma mère avait refait sa vie avec un homme d'affaires, elle n'avait plus rien de la femme sur la seule photo que j'avais d'elle et ce qui a brisé un peu plus mon cœur, outre le fait qu'elle ne soit jamais venue me chercher c'est de voir qu'elle avait eu un deuxième enfant. Je n'avais qu'une envie à ce moment-là, m'ensevelir au plus près du noyau de la Terre et ne jamais en remonter.

Pendant plusieurs années, je lui en ai voulu, n'arrivant pas à la comprendre, en la détestant pour tout ce que j'ai éprouvé dans les diverses familles d'accueil dans lesquels j'ai grandi et aujourd'hui, alors qu'elle est morte je n'ai toujours pas eu de réponse à mes questions.

Malgré ce vécu désastreux qu'elle m'a offert, je savoure à chaque seconde qui passe la petite victoire d'avoir mon prénom sur les papiers de la société qu'elle a mis tant d'années à créer : « Vault Studio ».

Charlotte se lève d'un bond et se serre un verre de vin blanc avant de revenir à sa place et de me dévisager. Je n'ai rien écouté de ce qu'elle m'a dit, je voudrais la congédier, mais je me contente de soupirer tout en me massant les sinus de mon pouce et mon index. Elle croise ses jambes tout en faisant tournoyer le liquide et reprend d'une voix calme comme si elle se trouvait devant des investisseurs.

— Apollon est un petit génie, Ezio et ne pas lui donner la chance d'entrer chez Vault Studio est une erreur. Il sera une bouffée d'air frais au service de création de jeu...

Encore le prénom d'un dieu grec, décidément dans cette ville ils adorent sortir de l'ordinaire à croire que les seuls à ne pas faire partie du groupe ce sont Charlotte, le fameux Flavien et moi. Je me tends en repensant à ce type. J'écoute d'une oreille ma demi-sœur me vanter les mérites d'Apollon tout en me souvenant du doux visage d'Artémis. Je la revois tremblante de peur et d'angoisse.

J'avale la première gorgée de vin. Je n'ai pas le temps de la savourer, que Charlotte lance d'une voix plus assurée.

— Je sais que si tu refuses tu le ferais pour moi, mais oublie un peu cette guerre qu'on entretient depuis notre jeunesse et pense à la société et à ce qu'elle gagnerait de l'avoir en son sein.

Je dois bien lui accorder que le dernier développeur que mon beau-père à engager est bien loin de faire l'affaire et j'adorerais le renvoyer cet incapable. Cependant, rendre un service à cette poupée manucurée bas de gamme me fait terriblement mal aux fesses... Mais d'un autre côté, si cet Apollon est vraiment doué, me passer de lui serait une grosse erreur.

— C'est quel jour, ta soirée ? Je demande tout en me remettant une mèche blonde sur l'arrière de mon crâne.

Son regard s'illumine, elle remonte ses lunettes aux verres horriblement épais tout en m'offrant un grand sourire qui dévoile ses dents blanches et fait naître des fossettes que j'ai toujours détestées.

— Samedi, costume pour les hommes et robe pour les femmes...

— Ne t'emballe pas, dis-je en levant une main pour la calmer, je vais réfléchir à ta proposition. Si, et uniquement si, je décide d'être présent, je me débrouillerais seul pour discuter avec ce type. Ne compte pas sur moi pour lui dire que la démarche vient de toi, je lance avec un rictus mauvais. Je ne le fais pas pour tes beaux yeux, mais pour ma société.

Elle me jauge de la tête aux pieds, je vois mille et une idées se battre dans sa cervelle de manipulatrice et je plains ce pauvre homme qui a attisé du désir chez ce démon. Finalement, elle s'empare de son sac à main, repousse sa longue chevelure filasse derrière son épaule et prend la direction de la sortie. À mi-chemin, elle se tourne d'un quart et me lance d'une voix froide.

— Un costume, Ezio, n'oublie pas. Déjà que je suis persuadé que cette souillon d'Artémis et ses copines ne se donneront pas la peine de suivre le dress code, je n'ai pas besoin que mon frère joue les rebelles.

Sans m'accorder le temps de réagir, elle quitte la maison et me laisse avec le prénom de la jeune serveuse tourbillonnée dans ma tête. En fin de compte, j'irais sûrement à cette fichue soirée et qui sait, peut-être que je pourrais l'apercevoir entre deux coupes de champagne. 

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 12 ⏰

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