Chapitre 10

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Face à cet homme qui serre le poignet d'Artémis, les yeux de la jeune femme qui le dévisage et son teint qui est devenu cireux, mes sens se mettent en alerte. La peur suinte dans chacun de ses membres et sans réfléchir, j'avance vers eux, les assiettes ainsi que les verres à la main, tout en essayant de paraître dans mon élément.

— Artémis, il reste encore une table à débarrasser. Je lance en ne supportant plus les doigts de cet individu sur elle.

En entendant ma voix, il la lâche, comme si elle venait de le brûler, recule d'un pas et me jauge de haut en bas. C'est vrai qu'avec mon jean délavé, mon t-shirt à l'effigie des Red Hot Chili Peppers et mes tatouages aux bras, je ne donne pas du tout l'air de travailler ici. Instinctivement, je me place entre eux et offre à Artémis un sourire rassurant en lui demandant :

— Tu veux que je m'occupe de monsieur, pendant que tu termines ?

Ses beaux yeux noisette s'ouvrent si grand que je m'attends à ce qu'ils roulent à terre, sa respiration est tellement rapide que j'ai peur qu'elle ne me claque entre les mains et je crois même l'apercevoir trembler. Après une petite hésitation, elle hoche la tête et recule d'un pas pour retrouver Noa.

— Monsieur, je suis désolé, mais je vais vous demander de rejoindre la sortie. Le salon est fermé pour aujourd'hui, je vous invite à revenir demain. Dis-je tout en le poussant délicatement vers la porte.

Il retire ma main que j'avais posée sur l'une de ces épaules d'un coup sec et marche la tête haute vers l'extérieur, non sans lancer un regard noir dans la direction qu'a pris Artémis. Je n'ai jamais aimé la violence, pourtant la je serais prêt à lui arracher la tête rien que pour le fait d'avoir terrorisé Artémis.

J'inspire profondément, heureux que cela n'ait pas dérapé, au final, ça a été plus facile que ce que je ne le pensais. Enfin, c'était sans compter cette tête de con qui se retourne pour me faire face une fois qu'il a atteint l'air frais d'automne et me pointe son index dans le torse. Son regard bleu clair ressemblant à deux billes de mercure se plante dans le mien et il se dégage de lui une telle méchanceté et supériorité que mon poing me démange. Je suis légèrement plus grand que lui, ce qui l'oblige à lever les yeux et même si je ne le connais pas, je suis persuadé qu'il déteste ça.

— J'ignore ce qu'elle t'a promis, mec. Mais sache qu'Artémis est à moi, je connais tout d'elle, chaque partie de son corps, chacune de ses habitudes... Elle me reviendra et te jettera telle la merde que tu es.

Ouais, là je crois que je vais me le faire. Je m'apprête à lui répondre que l'esclavage a été abolie en 1848 et que, de ce fait, elle est libre de faire ce qu'elle veut et côtoyer qui elle le désir, mais la voix d'une jeune femme me coupe l'herbe sous le pied. À quelques pas derrière l'individu, elle le détaille de la tête aux pieds et ricane froidement avant d'ouvrir la bouche.

— Flavien ! Que me vaut le déplaisir de te trouver devant mon salon ?

Le dénommé Flavien se retourne, encore plus en colère qu'il ne l'était et dévisage la personne dans son dos. Elle lui offre un sourire mesquin et ses yeux bruns le foudroient sur place.

— Elle a téléphoné à son petit chien-chien à ce que je vois.

— Mon cher Flavien, dois-je te remémorer que mon prénom est celui de la déesse grecque de la justice ? Ce n'est pas son chien-chien qu'elle a appelé, mais son amie. Ah, mince, reprend-elle tout en avançant doucement vers lui, je viens juste de me souvenir que tu ne connais pas ce principe.

Il serre les poings tout en retroussant ses lèvres, offrant une horrible grimace.

— Tu lui diras que je reviendrais chaque soir s'il le faut, mais je la récupérerais.

— Non, je ne lui passerais pas le mot, tu lui as fait assez de mal. Si tu l'aimes, laisse-la partir.

La jeune femme le contourne et lui offre son dos pour rejoindre l'intérieur du salon tout en dégageant une telle confiance qu'elle me paraît redoutable. Je m'apprête à opérer un demi-tour lorsque sa voix rauque me glace le sang et nous arrête à quelques pas de la porte coulissante.

— Je ne rigole pas, Astrée, je la récupérerais et je l'éloignerais de vous, sorcières.

— Sache que moi non plus. Continue et c'est une plainte qui sera déposée pour harcèlement. En plus d'être mon amie, Artémis est mon employée et je ne permettrais pas que tu lui fasses du mal dans mon salon.

— Salope ! crache-t-il, tout en rejoignant son véhicule.

Sans prendre la peine de lui répondre, elle secoue la tête et pénètre dans la chaleur de son établissement. De mon côté, je regarde le dénommé Flavien grimper dans sa voiture et démarrer en trombe.

Au moins, il ne l'attend pas tel un psychopathe sur le parking.

Je m'installe sur l'un des bancs bordant l'entrée du salon, perturbé par la scène qui vient de se dérouler devant moi. Quelque chose me dit que ce genre de chose arrive plus souvent que je ne l'imagine dans le quotidien d'Artémis. Je me demande bien ce qu'il s'est passé entre eux. Et, surtout, je n'explique pas ce qu'il m'a pris de réagir de cette façon. Non d'un chien, depuis quand est-ce que je suis devenu un chevalier servant moi ? Je n'ai jamais aimé m'occuper des affaires des autres, pourtant j'ai le sentiment qu'Artémis est différente. L'unique personne que je laisse me côtoyer, c'est mon cousin et j'ignore si c'est dû à sa maladie ou au fait qu'on soit si proche, mais c'est le seul à me comprendre.

J'en suis là dans mes réflexions quand l'air frais de la fin de journée se faufile sous mon t-shirt et me tire une grimace. Merde, dans la précipitation j'ai oublié ma veste.

J'inspire en profondeur tout en me massant les tempes et cherche mon paquet de cigarettes dans les poches de mon jean. Paquet de cigarettes que j'ai aussi laissé à l'intérieur. Je lève les yeux au ciel et m'apprête à rejoindre le salon lorsqu'une clope se matérialise devant moi. En arrimant mes iris aux siennes l'espace de quelques secondes j'ai l'impression que cette jeune femme peut lire en moi comme dans un livre ouvert. Son regard chocolat me détaille avec bienveillance, son sourire affectueux me réchauffe et je me surprends à inspirer plus profondément l'air qui nous entoure pour distinguer son parfum. La lavande et le jasmin viennent chatouiller mes narines quand elle s'installe près de moi tout en me tendant un briquet. J'adorerais passer mes mains autour de ses épaules pour sentir un peu plus sa chaleur, pourtant je n'en fais rien et me gifle mentalement pour ces pensées.

Qu'est-ce qu'il me prend d'avoir ce genre d'idée en tête, moi qui fuit toute relation qu'elle soit amoureuse ou amicale.

— Merci, mais tu n'aurais pas dû intervenir. Tu ignores de quoi il est capable.

La voix d'Artémis tremble légèrement, elle resserre les pans de sa veste tout en allumant une cigarette.

— T'en fais pas pour moi, petit ourson, je sais me défendre.

Je jette mon mégot dans l'un des pots prévus à cet effet et rejoint la chaleur du salon de thé, là où m'attend mon cousin.

Et si...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant