05 | Chapitre Cinquième

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Hyunjin manqua d'en tomber de sa chaise.

Donc, ce mec était assez fourbe pour faire ce genre de choses. Bon à savoir. Hyunjin nota cette information avant de la ranger dans un tiroir au fond de son esprit, se retenant de le foudroyer du regard.

Tout en maudissant Seungmin et en se demandant s'il serait malvenu de lui balancer un coup de pied sous la table (après tout, ils se connaissaient depuis littéralement cinq minutes), le coréen lança à Madame Miyazono un regard plein d'appréhension.

Lors de leurs correspondances passées, Hyunjin avait bien sûr mis la japonaise au courant de sa situation, ainsi que des raisons qui l'avaient poussé à quitter la Corée. Après tout, il était tout de même question d'emménager chez elle : la vieille dame se devait de savoir qui elle accueillait sous son toit.

À la grande surprise de Hyunjin, elle s'était montrée particulièrement indulgente à ce sujet. Elle avait fait preuve de compassion et de bienveillance, là où le jeune homme s'attendait à retrouver ce malaise rehaussé d'une crainte mal dissimulée auquel à présent, il se heurtait systématiquement.

Madame Miyazono avait été la première depuis longtemps à le traiter comme s'il était normal.

Comme s'il l'avait toujours été, qu'il n'y avait pas eu ce trou dans sa vie. Comme si les séquelles du Vide n'avaient jamais apposé leurs marques sur lui.

Elle avait accepté de l'héberger, là où d'autres lui auraient fermé leur porte. Elle n'avait pas exigé d'en savoir plus, n'avait voulu qu'il lui raconte seulement ce qu'elle estimait suffisant.

Elle avait tout fait pour ne pas remuer le couteau dans sa plaie, béante, qui le faisait déjà souffrir.

Elle n'avait même pas évoqué le sujet depuis qu'il était arrivé. Pas une seule fois. Et Hyunjin devait avouer que ça lui faisait un bien fou. Il n'avait intercepté aucun regard de pitié, n'avait pas l'impression qu'on le traitait comme s'il était fait de verre, comme s'il risquait de se briser à tout moment.

En revanche, il se demandait comment réagirait la vieille dame si elle apprenait que son invité croyait voir des fantômes, hurlait déjà au meurtre sanguinolent, et se promenait à moitié nu dans la nature.

Il se doutait que sa réaction ne serait pas géniale. Et si elle le mettait à la porte ? Comment annoncerait-il à ses parents qu'il s'était fait jeter de sa nouvelle maison moins de douze heures après son arrivée ? Cette fois, rien ni personne n'empêcherait sa mère de débarquer. Et il n'était pas exclu qu'elle traîne avec elle son père dans ses bagages.

Réprimant une sévère envie de disparaître au fond d'un des plats de légumes, Hyunjin lança un regard suppliant à Seungmin. S'il arrivait à lui faire comprendre à la seule force de ses yeux qu'il était réellement désespéré, alors peut-être que cet agaçant énergumène aurait pitié de lui et aurait ainsi l'extrême amabilité de ne pas le dénoncer.

Leurs regards se croisèrent, pendant ce qui lui sembla être une éternité. L'insistance avec laquelle Seungmin le toisait manqua une fois de plus de déstabiliser Hyunjin, mais il réussit à tenir bon.

Un ange passa.

Manifestement inconsciente du manège qui se déroulait juste sous ses yeux, Madame Miyazono les regardait l'un l'autre, perdue.

— Il y a quelque chose que je devrais savoir ?

C'était précisément le moment que semblait attendre Seungmin. L'occasion était en or ; il n'avait qu'à ouvrir la bouche, et tout avouer à sa grand-mère sur ce qu'il avait vu dans la forêt. Il n'avait qu'à tout déballer, et Hyunjin se retrouverait chassé du seul endroit qu'il, au cours de ces derniers mois, avait pu considérer comme un refuge.

COVEN (livre I) - 𝐿'𝑎𝑝𝑝𝑒𝑙 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝐹𝑜𝑟𝑒̂𝑡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant