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Ce doit être l'avant-jour, se dit Manuel.
Sous la porte rampait, avec une légère froidure, la clarté brouillée de l'aube. Il entendait dans la cour le chant agressif des coqs, le battement d'ailes et le piaillement affairé des poules.
Il ouvrit la porte. Le ciel, baigné de nuit, pâlissait au levant, mais le bois, encore endormi, reposait dans une masse d'ombre.
Le petit chien l'accueillit de mauvaise grâce et montrant les dents avec hargne, ne cessait de gronder.
— En voilà un chien ennuyant, un chien haïssable, s'écria la vieille
Délira, le chassant de la voix et du geste.Elle était déjà occupée à chauffer le café.
— Tu t'es levé de grand matin, pitite mouin. Est-ce que tu as dormi ton compte de sommeil ?
— Bonjour maman ; papa, je te dis bonjour, oui.
— Comment ça va, mon fi, répondit Bienaimé.
Il trempait un morceau de cassave dans son café. Délira offrit à
Manuel un godet d'eau fraîche. Il se lava la bouche et les yeux.— Je n'ai pas dormi, se plaignait Bienaimé, non je n'ai pas bien
dormi. Je me suis réveillé au mi tan de la nuit, et je n'ai fait que me tourner et me retourner jusqu'à l'avant-jour.— C'est peut-être le contentement qui te démangeait, remarqua
Délira en souriant.— Quel contentement ? rétorqua le vieux. C'était pour plus sûr les
puces.Tandis que Manuel buvait son café, une rougeur peu à peu montait et s'élargissait au-dessus du morne. La savane et sa broussaille crépue, avec la lumière, prenait de l'espace, s'étendait jusqu'à la lisière indécise où l'aube se dégageait lentement de l'embrassement confus de la nuit.
Dans le bois, les pintades sauvages jetèrent leur appel véhément.
« C'est pourtant de la bonne terre, pensait Manuel. Le morne est
perdu, c'est vrai, mais la plaine peut encore donner sa bonne mesure de maïs, de petit-mil, et tous genres de vivres. Ce qu'il faudrait, c'est l'arrosage. »28
Il voyait comme en songe, l'eau courante dans les canaux comme un réseau de veines charriant la vie jusqu'au profond de la terre ; les bananiers inclinés sous la caresse soyeuse du vent, les épis barbus du maïs, les « carreaux » de patates allongés dans les jardins : toute cette terre roussie, recrépie aux couleurs de la verdure.
Il se tourna vers son père :
— Et la source Fanchon ?
— Quoi, la source Fanchon ?
Bienaimé émiettait dans sa pipe ce qui lui restait du mégot de la
veille.— Par rapport à l'eau.
— Sèche comme le plat de ma main.
— Et la source Lauriers ?
— Tu es persistant, mon nègre. Pas une goutte, non plus. Il n'y a que la mare Zombi, mais c'est un marigot à maringouins : une eau pourrie comme une couleuvre morte, enroulée, une eau épaisse et sans force pour courir.
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GOUVERNEUR DE LA ROSÉE
Historical FictionManuel, fils unique d'un couple de paysans, Délira et Bienaimé, revient dans son village de Fonds-Rouge, en Haïti, après quinze ans de dur labeur passés dans les plantations de canne à sucre à Cuba. À son retour, Manuel ne reconnaît plus sa terre na...