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— Le soleil se lève, dit Délira.

— Il est sur le morne, répondit Bienaimé.

Les poules caquetaient, inquiètes. Elles attendaient qu'on leur lançât du maïs, mais les habitants n'avaient plus rien à manger ou c'était presque tout comme. Ils gardaient les derniers grains, ils les écrasaient sous le pilon et ils en faisaient une bouillie épaisse et lourde, mais c'était remplissant, ça donnait de la consistance à l'estomac.

Les coqs s'affrontaient, une fraise de plumes hérissées autour de
leurs cous. Ils échangeaient quelques becquées, quelques coups d'éperon.

— Chhhi... et Bienaimé frappait dans ses mains. Ils se séparaient
pour se dresser plus loin et claironner à plein gosier leur défi.

Et dans chaque cour c'était pareil. Le jour commence ainsi, avec une lumière qui ne se décide pas, des arbres engourdis et la fumée qui monte derrière les cases, car c'est le moment du café et ce n'est pas mauvais d'y tremper un morceau de biscuit si le café est bien adouci — au sirop de canne, bien entendu, parce que pour le sucre, même le rouge, le bon marché, on n'a plus de quoi par les temps présents.

— Manuel a dit qu'il allait chercher Laurélien.

— C'est ce qu'il a dit.

— Mais qu'est-ce qui se passe donc, Bienaimé ?

— Demande-moi, je ne te répondrai pas.

— Il y a longtemps que je n'ai pas entendu une parole aimable de ta bouche.

Bienaimé avala une gorgée de café. Il se sentit honteux.

— C'est que mes rhumatismes recommencent, fit-il en manière
d'excuse. Si tu me frottais avec un peu d'huile ? C'est dans les jointures que ça me tient.

— Je ferai chauffer l'huile avec du sel. Ça entrera mieux dans le mal.

Le vieux alluma sa pipe. Il caressa sa barbe blanche.

— Délira, oh ?

— Oui, Bienaimé.

— Je vais te dire quelque chose.

— Je t'écoute, oui, Bienaimé.

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— Tu es une bonne femme, Délira.

Il détourna le regard et s'éclaircit la voix.

— Je vais te dire encore quelque chose.

— Oui, cher.

— Je suis un nègre désagréable.

— Non, Bienaimé, oh non, mon homme, tu as seulement tes jours difficiles, c'est la faute de toute cette misère. Mais depuis le temps que nous marchons ensemble dans la vie, et ça fait une longue route, avec, ah Dieu, pas mal de mauvais passages et des tribulations en quantité, tu
m'as toujours protégée, tu m'as soutenue, tu m'as secourue, je me suis appuyée sur toi, et j'ai été à l'abri.

GOUVERNEUR DE LA ROSÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant