La clé tourne dans la serrure et la double porte s'ouvre en grand. J'en ai le souffle coupé. Je n'ai jamais dormi dans une suite de toute ma vie, et encore moins dans une suite aussi luxueuse. J'ai une pensée
émue pour Ami et la lune de miel de ses rêves, et je dois m'efforcer de ne pas vouer une reconnaissance infinie à la fameuse intoxication qui la cloue à St. Paul et me permet d'être ici. Mais c'est difficile ; objectivement, la situation a parfaitement bien tourné pour moi.
Enfin, presque. Je lève les yeux vers Ethan qui me fait signe d'entrer la première. Nous nous trouvons dans un salon ridiculement spacieux avec un canapé, une causeuse, deux fauteuils et une table basse en verre sur un tapis blanc duveteux. La table est surmontée d'une superbe orchidée violette qui émerge d'un panier en osier, d'une télécommande sophistiquée sans doute capable de convoquer des femmes de ménage bioniques et d'un seau contenant une bouteille de champagne et deux flûtes gravées Monsieur et Madame.
Je croise le regard d'Ethan suffisamment longtemps pour que nos sourires méprisants reviennent en force.
À la gauche du salon se trouve une alcôve avec une table à manger, deux chandeliers en cuivre et un bar style tiki, regorgeant de toutes sortes de verres à cocktail élégants. J'engloutis mentalement quatre margaritas et ressens un frisson d'impatience en pensant à tout l'alcool gratuit que je vais pouvoir ingérer.
Mais c'est à l'autre extrémité de la suite que se trouve le joyau de cet endroit : un mur de baies vitrées menant au balcon qui surplombe la plage de Maui. Bouche bée, je les fais coulisser et me laisse envelopper par la brise chaude de janvier. La température – si douce, tellement aux antipodes du Minnesota – me fait prendre conscience de la situation surréaliste dans laquelle je me trouve : je suis à Maui, dans la suite de rêve, d'un voyage « all inclusive ». Je ne suis jamais allée à Hawaï. Je n'ai jamais rien vécu d'incroyable, tout court. Je commence à sautiller au moment où je réalise qu'Ethan vient de me rejoindre sur le balcon. Un raclement de gorge et un regard dubitatif en direction des vagues suffisent à gâcher mon plaisir.
On dirait qu'il pense : Mouais, j'ai vu mieux.
– Cette vue est extraordinaire, je lance, presque avec agressivité.
Il cligne des yeux dans ma direction et marmonne :
– Tout comme ta propension à divulguer des informations personnelles.
– Je t'ai déjà dit que je ne sais pas mentir. La voir avec le passeport d'Ami m'a rendue nerveuse,
d'accord ?
Il lève les mains comme pour se rendre, l'air sarcastique. Je lui jette un regard noir, puis échappe à
M. Rabat-Joie en retournant à l'intérieur. Immédiatement à droite, dans l'entrée, se trouve une petite cuisine que je n'avais pas vue sur mon chemin vers le balcon. La cuisine donne sur un couloir qui mène à une petite salle d'eau et, dans la continuité, à la luxueuse chambre principale. J'entre et découvre une immense salle de bains dont la baignoire pourrait facilement accueillir deux personnes. Je me tourne en direction du lit gigantesque. J'ai envie de me rouler dessus. J'aimerais retirer mes vêtements et me glisser dans les draps soyeux...
J'entends soudain des crissements de pneus dans mon esprit.
Mais... comment ? Comment avons-nous pu aller aussi loin sans discuter de la logistique nocturne ? Avons-nous pu tous les deux supposer sincèrement que la suite nuptiale aurait deux chambres ? Je crois pouvoir affirmer sans l'ombre d'un doute que nous sommes d'accord sur un point – Hors de Question de Partager un Lit avec Toi –, mais comment décider qui occupera l'unique chambre ? Évidemment, je pense que cela devrait être moi, mais connaissant Ethan, il estime probablement que le lit lui revient de droit et que je serai ravie de construire ma petite forteresse de troll sous la table du séjour.
Je sors de la chambre à l'instant où Ethan referme la baie vitrée et nous nous retrouvons face à la réalité de la cohabitation à laquelle nous n'étions clairement pas préparés. Nous nous retournons à l'unisson pour regarder nos valises.
Je lance :
– Waouh.
– Ouais, confirme-t-il.
– C'est vraiment chouette.
Ethan tousse. Une horloge fait tic-tac, quelque part dans la suite, trop bruyante dans le silence gêné. Tic.
Tac.
Tic.
– Oui. (Il tend la main pour se gratter la nuque. Les vagues s'écrasent sur la plage en arrière-fond.)
Et, bien sûr, c'est toi la femme. Donc, tu dois avoir la chambre.
Certains de ces mots sont ceux que je voulais entendre et d'autres me hérissent. Je penche la tête
d'un air renfrogné.
– La chambre ne devrait pas être pour moi parce que je suis une femme. Je devrais avoir la chambre
parce que ma sœur l'a gagnée.
Il hausse les épaules, grimace d'un air arrogant et enchaîne :
– Eh bien, si on choisit selon ce critère, alors c'est moi qui devrais l'avoir parce qu'Ami a utilisé les
points Hilton de Dane.
– Elle a quand même tout organisé. Si Dane avait choisi la destination, on se serait retrouvés au
Doubletree de Mankato cette semaine.
– Tu te rends compte que tu as lancé un débat juste pour le plaisir, n'est-ce pas ? Je t'ai déjà dit que
tu pouvais avoir la chambre.
Je le désigne du doigt.
– Parce que tu n'es pas en train de jeter de l'huile sur le feu, peut-être ?
Il soupire comme si j'étais la personne la plus agaçante du monde.
– Prends la chambre. Je dormirai sur le canapé.
Il lui jette un coup d'œil. Il semble moelleux et agréable, bien entendu, mais c'est un canapé et nous
allons dormir ici dix nuits.
– Tout ira bien, ajoute-t-il avec un air de martyr.
– OK, si tu envisages de te comporter comme si je devais t'en être éternellement redevable, alors je
n'en veux pas.
Il soupire lentement, puis avance jusqu'à sa valise, la soulève et l'emporte dans la chambre.
Je crie :
– Attends ! Je retire ce que je viens de dire. Je veux la chambre.
Ethan s'arrête net, sans se tourner vers moi.
– Je vais juste mettre quelques trucs dans les tiroirs pour que mes affaires ne traînent pas dans le
salon pendant dix jours. (Il me regarde par-dessus son épaule.) Je suppose que ça ne te pose pas de problème ?
Il contrebalance si scrupuleusement sa générosité avec une attitude passive-agressive que je n'arrive pas à déterminer à quel point c'est un connard. Ce qui ne m'aide pas à doser mon sarcasme.
– Non, je réponds avant d'ajouter d'un air magnanime : Occupe tout l'espace que tu veux dans le placard.
J'entends un grognement amusé, puis il disparaît de ma vue.
En résumé, nous ne nous entendons pas. Heureusement, il n'est pas réellement nécessaire que ce soit le cas ! L'espoir me remplit comme de l'hélium. Ethan et moi pouvons nous contenter de nous croiser sans être obligés d'interagir et faire tout ce que nous voulons de nos vacances de rêve, individuellement.
En ce qui me concerne, ma version du paradis inclura le spa, la tyrolienne, le snorkeling et toute aventure disponible – y compris des aventures alcoolisées. Si l'idée qu'Ethan se fait d'un séjour à Tahiti est de ressasser, se plaindre et soupirer d'un air exaspéré, il pourra s'en donner à cœur joie, mais je n'aurai pas à l'endurer.
Je jette un coup d'œil rapide à mes mails et vois que j'en ai reçu un d'Hamilton. L'offre est... eh bien, je me contenterai de dire que je ne risque pas de faire la fine bouche. Ils pourraient me dire que mon bureau sera perché sur les flancs d'un volcan que je l'accepterais sans la moindre hésitation avec un salaire pareil.
Je sors mon iPad, signe tout électroniquement et renvoie le contrat. Je vibre presque d'excitation en parcourant la liste des activités proposées par l'hôtel et décide que la première étape de ma célébration sera un soin du visage et un gommage corporel au spa. Seule. Je ne crois pas qu'Ethan soit du genre à aimer se faire bichonner. D'autant plus que rien ne pourrait être pire que de le voir soulever une rondelle de concombre fraîche de mes paupières pour m'adresser un regard condescendant alors que je paresse en peignoir.
Je m'écrie :
– Ethan, que comptes-tu faire cet après-midi ?
Dans son silence, je perçois sa panique à l'idée que je recherche peut-être sa compagnie.
J'ajoute prestement :
– Je ne te pose pas la question parce que j'ai envie de passer du temps avec toi.
Il hésite encore et lorsqu'il répond finalement, sa voix est faible, comme s'il avait disparu au fond de
la penderie.
– Dieu merci.
Bien.
– Je vais probablement aller faire un tour au spa.
– Fais ce que tu veux. N'utilise juste pas tous les coupons de massage, enchaîne-t-il.
Je lève les yeux au ciel, même s'il ne peut pas me voir.
– Combien de fois penses-tu qu'on peut me malaxer en un après-midi ?
– Je préfère ne pas y penser.
Je lui adresse un doigt d'honneur de loin, consulte les indications sur l'hôtel pour confirmer que le
spa met à disposition des douches, saisis ma carte magnétique et laisse Ethan seul face à sa valise.
UNE POINTE DE CULPABILITÉ SURGIT tandis qu'on me bichonne et qu'on me palpe, pendant les trois heures qui suivent, sous l'identité d'Ami. Mon visage est exfolié, massé, hydraté. Mon corps est recouvert d'argile, frotté jusqu'à ce que ma peau rougisse et picote, puis recouvert de serviettes chaudes parfumées à l'eucalyptus.
Je me promets silencieusement de mettre de l'argent de côté chaque mois pendant un moment pour envoyer ma sœur dans un spa somptueux lorsqu'elle ne se sentira plus « comme un cadavre qu'on vient de ranimer ». Ce ne sera peut-être pas Maui, mais si je peux lui rendre le cadeau qu'elle m'a fait, même un tout petit peu, je m'engage à le faire. Mon unique dépense cette semaine se résumera aux pourboires que je donnerai au personnel ; cela semble presque ridicule. Ce type d'expérience thermale délicieuse et transcendante ne me ressemble pas. Je suis du genre à attraper une infection fongique aux orteils à cause d'une pédicure des villes jumelles et une brûlure après une épilation à la cire dans un spa de Duluth.
Molle comme une méduse et bourrée d'endorphines, je lève les yeux vers ma masseuse, Kelly :
– C'était... incroyable. Si je gagne un jour au Loto, j'emménage ici et je vous paie pour me faire ça tous les jours.
Elle entend probablement la même chose tous les jours, mais elle rit comme si j'étais excessivement maligne.
– Je suis ravie que vous ayez apprécié.
Apprécié est un euphémisme. Non seulement c'était irréel mais ça m'a aussi permis de passer trois heures loin d'Ethan.On m'escorte jusqu'au salon du spa où on me dit que je peux rester autant que je veux. Je m'enfonce dans un canapé moelleux et sors mon téléphone de l'une des poches de mon peignoir. Sans surprise, je trouve des messages de ma mère (Dis à ton père d'acheter du papier toilette et du Gatorade), ma sœur (Dis à maman de rentrer chez elle), Diego (S'agit-il d'une punition parce que je me suis moqué de la décoloration de cheveux atroce de Natalia ? Je pourrais dire que je suis désolé mais j'ai même déjà vu des balais à franges avec plus de lustre), et Jules (Ça te dérange si je m'installe chez toi pendant que tu n'es pas là ? Ce truc c'est comme la peste, je vais peut-être devoir tout brûler dans mon appartement).
Trop fatiguée et bienheureuse pour gérer l'un de ces problèmes, j'attrape un exemplaire lu et relu de US Weekly. Mais même les potins de star ou les derniers rebondissements du Bachelor ne parviennent pas à me maintenir éveillée. Je sens mes paupières s'alourdir sous le poids d'un délicieux épuisement.
– Mademoiselle Torres ?
– Hmmm, je fredonne, groggy.
– Mademoiselle Torres, est-ce vous ?
J'ouvre brutalement les yeux et manque renverser l'eau parfumée au concombre que j'ai
précautionneusement posée sur ma poitrine. Lorsque je me rassois, je lève les yeux et tout ce que je vois, c'est une énorme moustache blanche. Et oh. Je connais cette moustache ; j'ai rencontré cette moustache pour la première fois lors d'un entretien très important. Je me souviens d'avoir pensé à ce moment-là Waouh, le P.-D.G. de Hamilton Bioscences est le sosie de l'acteur Sam Elliot ! Qui l'eût cru ? Je lève les yeux. Oui, le sosie de Sam Elliott – Charles Hamilton, le boss de mon nouveau boss – se trouve face à moi au Spa Grande de Maui.
Attendez... quoi ?
– Monsieur Hamilton ! Bonjour !
– Il me semblait bien que c'était vous.
Il est plus bronzé que lorsque je l'ai rencontré il y a plusieurs semaines, ses cheveux blancs sont
légèrement plus longs. Mais la plus grande différence reste qu'il ne portait clairement pas un moelleux peignoir blanc et des chaussons lors de notre première entrevue.
Il traverse la pièce, les bras tendus pour me saluer d'une embrassade.
Oh. D'accord, c'est ce qui va se passer. Je me lève et il surprend mon expression mal à l'aise – parce que je n'ai pas l'habitude de faire des câlins à mes boss, en particulier lorsque je suis nue sous un peignoir – et je réalise alors que son cerveau est en mode vacances et qu'il n'enlace pas non plus ses employés, mais nous sommes déjà allés trop loin. Nous nous donnons une accolade gauche, en formant une espèce de triangle qui nous assure que nos peignoirs ne s'ouvriront pas.
– Si ce n'est pas un tout petit monde ! s'exclame-t-il une fois qu'il s'est écarté. En train de recharger les batteries avant de commencer votre nouvelle aventure chez Hamilton ? En voilà une bonne manière de commencer l'année. On ne peut pas prendre soin des autres si on ne prend pas d'abord soin de soi.
– Exactement. (Ma nervosité a propulsé des fleuves d'adrénaline dans mes veines ; passer de Zen à Alerte Nouveau Boss est déconcertant. Et je voudrais vous remercier une fois de plus pour l'opportunité que vous m'offrez. Je suis plus qu'impatiente de rejoindre l'équipe.
M. Hamilton balaie mes politesses d'un geste de la main.
– À la minute où nous avons commencé discuter, j'ai su que vous seriez parfaite pour le job. Votre implication chez Butake était louable. J'ai toujours affirmé qu'Hamilton ne serait rien sans les personnes extraordinaires qui travaillent avec moi. Honnêteté, intégrité, loyauté, voilà notre devise.
Je hoche la tête ; j'apprécie M. Hamilton – il a une réputation intacte dans le domaine des biosciences et il est connu pour être un P.-D.G. incroyablement dévoué et impliqué dans la bonne marche de son entreprise –, mais je ne peux m'empêcher de remarquer qu'il m'a dit exactement la même chose lorsque nous nous sommes serré la main à la fin de l'entretien. Maintenant que j'ai menti à environ vingt membres du personnel de l'hôtel, cette phrase me semble plus menaçante qu'inspirante.
Des pas rapides résonnent de l'autre côté de la porte avant qu'une Kelly paniquée fasse irruption dans le salon.
– Madame Thomas.
Mon ventre se serre.
– Oh Dieu merci, vous êtes encore là. Vous avez oublié votre alliance dans la salle de soins.
Elle tend la main et place l'anneau doré dans ma paume.
Je laisse échapper un hurlement silencieux digne d'une folle furieuse à l'intérieur de mon crâne tout
en marmonnant tant bien que mal des remerciements.
– Madame Thomas ? répète Hamilton.
La massothérapeute nous regarde l'un après l'autre, manifestement confuse.
– Vous voulez dire Torres, rectifie-t-il.
– Non... (Elle baisse les yeux vers un bloc puis nous fixe à nouveau.) C'est Madame Thomas. À moins
qu'il y ait eu une quelconque erreur... ?
Je réalise que deux options s'offrent à moi :
1. Je pourrais admettre que j'ai pris la place de ma sœur pendant sa lune de miel parce qu'elle est tombée malade et que je fais semblant d'être mariée à un type appelé Ethan Thomas pour profiter d'un séjour exotique tout compris.
ou
2. Je pourrais mentir comme une arracheuse de dents et leur dire que je viens de me marier et que, suis-je bête, je ne suis pas encore habituée à mon nouveau nom de famille.
Dans les deux cas, je mens. La première option préserve mon intégrité. Cependant, avec la deuxième, je ne déçois pas mon nouveau boss (surtout dans la mesure où la moitié de mon entretien d'embauche parlait de constituer une équipe dotée d'un « profond sens moral » dont les membres « font passer l'honnêteté et l'intégrité avant tout le reste »), et je ne serai pas obligée de dormir sur la plage, affamée et sans emploi, avec une énorme facture de spa et d'hôtel pour tout abri.
Je sais que le bon choix est évident, mais j'ignore les cris de ma conscience. – Ah oui. Je viens de me marier. . Pourquoi ? Pourquoi ma bouche a-t-elle articulé ces mots ?
Honnêtement, c'était le pire des choix. Parce que maintenant, de retour chez moi, je vais devoir faire semblant d'être mariée chaque fois que je tomberai sur M. Hamilton – ce qui pourrait être quotidien – ou m'inventer un faux divorce immédiatement après mon faux mariage.
Oh là là.
Son sourire est si éclatant que les coins de sa moustache se relèvent. La masseuse est soulagée que l'étrange tension se soit dissipée, elle prend congé avec un sourire. Toujours rayonnant, M. Hamilton serre ma main dans la sienne.
– Eh bien, en voilà une extraordinaire nouvelle. Où vous êtes-vous mariée ?
Sur ce point au moins, je peux dire la vérité.
– Au Hilton, dans le centre de St. Paul.
– Seigneur, lance-t-il en secouant la tête, ce n'est que le début. Quelle bénédiction ! (Il se penche en
avant et m'adresse un clin d'œil.) Ma Molly et moi sommes venus célébrer notre trentième anniversaire de mariage, pouvez-vous le croire ?
J'écarquille les yeux, comme s'il était complètement fou que cet homme aux cheveux blancs ait été marié pendant si longtemps et bredouille des mots ressemblant à incroyable et inspirant et vous devez être... tellement heureux.
Et puis il m'assène le coup de grâce :
– Pourquoi ne vous joindriez-vous pas à nous pour le dîner ?
Ethan et moi, assis côte à côte, autour d'une table, forcés de... nous toucher, sourire et prétendre
être amoureux l'un de l'autre ? J'étouffe un ricanement.
– Oh, nous ne voudrions pas nous imposer. Vous n'avez probablement pas souvent l'occasion de
vous échapper ensemble avec votre femme.
– Bien sûr que si ! Nos enfants sont partis, nous sommes tout le temps tous les deux. Allez. C'est
notre dernier soir et je suis sûre qu'elle en a assez de me voir, honnêtement ! (Il laisse échapper un rire chaleureux.) Vous ne vous imposeriez pas du tout.
S'il existe une porte de sortie à cette situation, je me révèle incapable de la trouver suffisamment rapidement. Je crois que je vais être obligée de prendre le taureau par les cornes.
Tout sourires – et en espérant de tout cœur avoir l'air bien moins terrifiée que je ne le suis –, je cède. J'ai besoin de ce travail et je meurs d'envie de m'attirer les bonnes grâces de M. Hamilton. Je vais devoir demander une immense faveur à Ethan. Je vais lui être tellement redevable que j'en ai la nausée.
– Bien sûr, Monsieur Hamilton. Ethan et moi en serions ravis. Il tend la main pour me serrer l'épaule.
– Appelez-moi Charlie.
LE COULOIR ONDULE ET S'ALLONGE devant moi. Je regrette qu'il s'agisse d'une illusion due à la peur et que huit kilomètres ne me séparent pas réellement de la suite. Mais ce n'est pas le cas et me voilà de retour dans la chambre, bien plus rapidement que je ne l'aurais voulu, tiraillée entre le désir qu'Ethan soit sorti, occupé à faire quelque chose d'extraordinaire jusqu'à demain, et celui qu'il soit ici pour que nous puissions aller dîner avec les Hamilton.
Au moment où j'entre, je le repère sur le balcon. Que fait-il, enfermé dans une chambre d'hôtel à Maui ? Même si maintenant que j'y pense, cette perspective n'est pas désagréable. Pour une raison qui m'échappe, le fait de partager le gène casanier avec Ethan me déplaît.
Il s'est au moins changé et a enfilé un short et un tee-shirt. Ses pieds nus sont appuyés sur la rambarde. Le vent ébouriffe ses cheveux noirs dans tous les sens, mais je l'imagine observer la plage avec un air plein de jugement, en disant silencieusement aux vagues qu'elles pourraient mieux faire.
Lorsque je m'approche, je vois qu'il a un cocktail à la main. Ses bras nus sont bronzés et toniques ; ses jambes sont étonnamment musclées et semblent interminables. Je ne sais pas pourquoi je m'attendais à ce qu'il ressemble à un haricot vert avec des membres tortueux, en short et tee-shirt. Peut-être parce qu'il est tellement grand. Ou peut-être qu'il était plus facile de penser qu'il avait seulement un beau visage et que, sous ses vêtements, il était dégingandé et noueux.
Assez franchement, il est tellement bien foutu que c'en est un peu injuste.
Je fais coulisser la baie vitrée aussi discrètement que je peux ; il paraît assez détendu. Je suis sûre qu'il s'imagine en train de noyer des chiots, mais qui suis-je pour lui jeter la pierre ? Je n'en ferai rien, du moins pas avant qu'il dîne avec mon boss. Ensuite, tous les coups seront permis. Je réalise que je vais devoir être charmante, donc je m'oblige à sourire le plus gentiment du monde..
– Salut.
Il se tourne et plisse ses yeux bleus. – Olivia.Waouh, je commence à en avoir assez de ses petits jeux stupides avec mon nom. – Quoi de neuf, Elijah ?
– En train d'admirer la vue.
Eh bien, c'est... chouette.
– Je ne savais pas que tu faisais ça. Il détourne le regard de la mer.
– Quoi?
– Admirer des choses.
Ethan rit, incrédule, et je réalise soudain qu'il faut que je me montre plus sympathique si je souhaite obtenir ce que je veux.
– Comment c'était, ton massage ? demande-t-il.
– Génial. (Je cherche d'autres mots n'exprimant ni ma panique ni mon stress.) Super-relaxant.
Il me jette un autre coup d'œil.
– C'est à ça que tu ressembles quand tu es détendue ?
Face à mon silence, il demande :
– Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu es encore plus bizarre que d'habitude.
– Je ne t'avais jamais vu en short avant. (Ses jambes, plus spécifiquement les muscles de ses jambes,
sont une nouveauté intéressante. Je rectifie sur-le-champ la note d'appréciation dans ma voix.) Gênant.
– Ouais, un peu comme porter un décolleté si plongeant qu'on voit tout, réplique-t-il en agitant la
main. Quoi qu'il en soit, on m'a dit qu'on avait encore le droit de porter un short sur une île.
Je suis assez sûre qu'il s'agit d'une autre allusion détournée à ma robe de demoiselle d'honneur,
mais je compte honnêtement ne m ême pas prendre la peine de lui répondre.
– Au fait, incroyable, dis-je en tirant une chaise pour m'asseoir à côté de lui. Tu sais, quand à
l'aéroport, on m'a proposé un job chez Hamilton ?
Il acquiesce, déjà ennuyé.
– Eh bien, devine qui se trouve ici ? (Je mime l'enthousiasme en agitant les mains.) M. Hamilton en
personne !
Ethan tourne brusquement la tête vers moi. Et je comprends complètement la peur dans ses yeux :
notre anonymat pourrait voler en éclats. – Ici,ici?Àl'hôtel?
– Je suis tombée sur lui au spa. J'ajoute, inutilement : En peignoir. Il m'a fait un câlin. C'était gênant. Bref, aloooooors, il nous a invités à dîner ce soir. Avec sa femme.
Il ricane.
– Non merci.
Je serre les poings pour m'empêcher de me jeter sur lui et de le rouer de coups. Un coup de poing
pourrait laisser des stigmates, donc j'étire mes doigts et les glisse sous mes cuisses.
– La masseuse m'a appelée Madame Thomas. Devant Monsieur Hamilton.
Je marque une pause pour voir s'il comprend. Lorsqu'il ne réagit pas, j'ajoute :
– Tu comprends ce que je suis en train de te dire ? Mon nouveau boss pense que je viens de me
marier.
Très lentement, Ethan cligne et recligne des yeux.
– Tu aurais pu lui dire qu'on faisait semblant.
– Devant le personnel de l'hôtel ? Hors de question. En plus, il n'arrête pas de parler d'intégrité et
de confiance ! Sur le moment, j'ai estimé que mentir était la meilleure option mais, maintenant, nous sommes complètement fichus parce qu'il pense que je viens de me marier.
– Il le pense, parce que c'est exactement ce que tu lui as dit.
– La ferme, Éric, laisse-moi réfléchir. (Je me penche en avant et me mordille un ongle, songeuse.) On pourrait s'en sortir, non ? Après tout, il n'a aucune raison de découvrir la vérité. Il s'avérera que tu étais violent et que j'ai annulé mon mariage après ce voyage. Il ne saura jamais que j'ai été malhonnête. (Je me redresse, une idée en tête.) Oh ! Je pourrais lui raconter que tu es mort !
Ethan se contente de me dévisager.
– Nous sommes partis faire de la plongée, je commence en fronçant les sourcils, concentrée. Et malheureusement, tu n'es jamais remonté sur le bateau.
Il cligne des yeux, dubitatif.
– Quoi ? Ce n'est pas comme si tu allais être amené à le revoir après ce soir. Tu n'as même pas besoin de faire en sorte qu'il t'aime bien. Ou, tu sais, qu'il sache que tu continues à exister.
– Tu sembles assez sûre que je vais t'accompagner à ce dîner.
Je prends mon expression la plus adorable. Je croise et décroise les jambes. Je me penche vers lui, bats des cils et souris.– S'il te plaît, Ethan ? Je sais que c'est une énorme faveur.
Il s'écarte.
– Est-ce que tu as quelque chose dans l'œil ?
Mes épaules s'affaissent, et je grogne. Je n'arrive pas à croire que je vais prononcer ces mots : – Je te cède la chambre si tu viens ce soir et que tu joues ton rôle.
Il se mord les lèvres, songeur.
– Donc, il faut qu'on fasse semblant d'être mariés ? Genre, tactiles et... chaleureux ?
Ethan profère le mot chaleureux comme la plupart des gens prononceraient démembrement.
– Ce serait la plus belle chose que tu puisses faire pour moi. (Je pense que j'ai réussi. J'approche un
peu ma chaise.) Je te promets d'être la meilleure fausse épouse de ta vie.
Il lève son verre et le termine. Je ne remarque clairement pas à quel point sa gorge semble longue et
bien dessinée lorsqu'il déglutit.
– OK, je t'accompagne.
Je fonds pratiquement de soulagement. – Merci, merci, oh Seigneur !
– Mais la chambre est à moi.