Chap 6

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Je jette un coup d'œil à la barre de Google en entendant frapper à la porte.
– Sans vouloir verser dans le cliché du vieux couple et me chamailler avec toi parce que tu vas nous mettre en retard... (Il marque une pause et je peux pratiquement voir Ethan adresser un regard désapprobateur à sa montre.) Il est presque 18 heures.
– Je suis au courant.
J'essaie de retenir le ton sec que je m'apprêtais à utiliser. Quand Ethan a accepté de m'accompagner à ce dîner, je me suis précipitée dans la chambre pour essayer tous les vêtements que j'avais apportés avant d'écrire à ma sœur et à Diego, paniquée. La chambre est sens dessus dessous. Je ne suis pas sûre d'être davantage prête à ce qui m'attend que je ne l'étais il y a une heure. Je suis une épave.
La voix d'Ethan me parvient à travers la porte, plus fort cette fois.
– « Je suis au courant » genre je suis presque prête ou « je suis au courant » genre je sais lire l'heure, la ferme, s'il te plaît ?
Les deux, pour être honnête.
– Première option.
Ethan frappe à la porte.
– Je peux entrer dans ma chambre ?
Ma chambre. Je lui ouvre la porte, ravie de laisser un tel chaos derrière moi.
Ethan franchit le seuil. Il est sur le point de rencontrer mon boss et de passer les heures qui
viennent à proférer mensonge sur mensonge et il porte un jean noir et un tee-shirt de la boutique Surly Brewery. On dirait qu'il s'apprête à dîner chez Chili's, pas avec mon nouveau boss et son épouse. Son calme apparent ne fait qu'amplifier ma panique car, bien sûr, il n'est pas inquiet ; il n'a rien à perdre. L'angoisse me serre le ventre. Ethan contrôle la situation, moi absolument pas.
Il observe la chambre et passe une main exaspérée dans ses cheveux. Qui, bien entendu, retombent parfaitement.
– Tu as réussi à fourrer tout ça dans une seule valise ?
– Je suis complètement perdue.
– C'est mon impression générale jusque-là. Sois plus précise.
Je me laisse tomber sur le lit, envoie balader un soutien-gorge rose sexy et grogne lorsqu'il
s'accroche au talon de ma chaussure.
– Chaque fois que je mens, on me prend la main dans le pot de confiture. Une fois, j'ai raconté à
mon professeur que j'avais raté une heure de cours pour m'occuper de ma colocataire malade et au moment où il a levé les yeux, ma colocataire nous est passée devant dans le couloir. Il la connaissait, parce qu'elle allait à ses conférences du mardi et du jeudi.
– Ton erreur a été d'aller en cours. Tu aurais dû te contenter d'envoyer un mail comme une menteuse normale.
– Ou il y a eu cette fois au lycée où j'ai demandé à mon cousin Miguel de faire semblant d'être mon père pour dire que j'étais malade, mais le secrétariat a voulu avoir la confirmation de ma mère parce que mon père ne les avait jamais contactés jusque-là.
– Eh bien, c'était juste un manque de planification de ta part. Quel est le rapport avec ta situation actuelle ?
– Le rapport, c'est que je dois faire semblant d'être la femme de quelqu'un et que j'ai dû me lancer dans des recherches pour apprendre à mentir.
Ethan tend la main vers ma jambe, pose une paume chaude sur mon mollet et retire le soutien-gorge de ma chaussure.
– D'accord. Les épouses ont-elles un air particulier ? J'attrape le soutien-gorge qui se balance à son doigt. – Jenesaispas,unpeucommeAmi?
Il éclate d'un grand rire profond.
– Ouais, tu ne risques pas d'y arriver.
– Hé. Nous sommes jumelles.
– Ça n'a rien à voir avec le physique, explique-t-il, et le matelas s'affaisse sous son poids lorsqu'il
s'assoit à côté de moi. Ami dégage une indescriptible confiance en elle. C'est la manière dont elle se tient.

Comme si, quelle que soit la situation, elle avait assez de dignité pour vous deux.
J'hésite entre être fière de ma sœur – parce que, ouais, elle renvoie vraiment cette impression – et
être curieuse de savoir ce qu'il pense de moi. Mon égocentrisme et mon goût pour la confrontation – qui se manifeste particulièrement en présence d'Ethan – prennent le dessus.
– Et moi, quelle impression est-ce que je donne ?
Il jette un coup d'œil à mon téléphone et je suis sûre qu'il lit les mots Comment mentir avec aplomb dans la barre de recherche. Il rit et secoue la tête.
– Comme si tu ferais mieux de te cacher la tête entre tes jambes et de prier.
Je suis sur le point de le pousser du lit lorsqu'il se lève, jette un regard théâtral à sa montre avant de me regarder à nouveau.
Allusion passive-agressive bien reçue. Je me redresse, m'observe une dernière fois dans le miroir et attrape mon sac.
– Finissons-en une bonne fois pour toutes.
TANDIS QUE NOUS AVANÇONS en direction de l'ascenseur, je suis forcée de reconnaître l'injustice suprême de l'univers ; même sous la lumière peu flatteuse des plafonniers, Ethan parvient à rester beau. Je ne sais pas comment, mais les ombres magnifient ses traits au lieu de les exagérer. Face aux portes miroir, je remarque qu'il n'en va pas de même pour moi.
Comme s'il lisait dans mes pensées, Ethan me donne un coup de hanche.
– Arrête. Tu es bien comme ça.
Bien, je pense. Comme une fille qui aime son fromage à poutine. Comme une fille dont les seins
débordent de sa robe de demoiselle d'honneur. Comme une fille qui mérite ton dédain parce qu'elle n'est pas parfaite.
– Je peux t'entendre tourner et retourner ce mot dans ta tête et lui donner toute une série d'interprétations auxquelles je n'ai même pas pensé. Tu es en beauté.
Une fois à l'intérieur, il appuie sur le bouton du rez-de-chaussée et ajoute :
– Comme toujours.
Ces trois derniers mots résonnent dans ma tête avant que je les comprenne. Je suis toujours en
beauté ? Pour qui ? Ethan ?
Les étages défilent et j'ai l'impression que l'ascenseur retient son souffle comme moi. Je croise le
regard de mon reflet dans les portes miroir et jette un coup d'œil à Ethan.
Comme toujours.
Ses pommettes ont viré à l'écarlate, il a l'expression de quelqu'un qui serait soulagé si les câbles sautaient et que la mort nous anéantissait pour toujours.
Je m'éclaircis la gorge.
– Dans une étude de 1990, des chercheurs ont prouvé qu'il est plus facile de se rendre compte que quelqu'un ment la première fois qu'il raconte son mensonge. On devrait accorder nos discours.
– Tu avais besoin de Google pour savoir ça ?
– Je suis meilleure quand je me prépare avant l'événement. Tu sais, c'est en forgeant qu'on devient forgeron.
– Certes. (Il marque une pause, pensif.) Nous nous sommes rencontrés grâce à des amis communs – techniquement pas un mensonge, donc avec un peu de chance, tu ne ficheras pas tout en l'air – et nous nous sommes mariés la semaine dernière. Je suis l'homme le plus chanceux du monde, et cætera, et
cætera.
Je hoche la tête, d'accord avec lui.
– Rencontrés grâce à des amis en commun, sortis ensemble pendant un moment et Seigneur, j'étais tellement surprise quand tu m'as suppliée de t'épouser.
Ethan retrousse les lèvres.
– J'ai mis un genou à terre quand on faisait du camping à Moose Lake. Je t'ai fait ma demande avec une bague en forme de sucette.
– Les détails, c'est parfait ! L'odeur du feu de camp avait imprégné nos cheveux et nos vêtements le lendemain, mais ce n'était pas grave parce qu'on était tellement heureux qu'on a longuement fêté ça en faisant des galipettes sous la tente.
Le silence envahit l'ascenseur. Je l'observe avec un étrange mélange d'horreur et de délectation parce que j'ai réussi à lui clouer le bec en faisant allusion à nos relations sexuelles imaginaires. Il finit par murmurer :
– D'accord. Mais je pense qu'on pourrait omettre ce détail devant ton boss.
– Et rappelle-toi, je poursuis en savourant sa gêne. Je n'ai jamais parlé de toi, je n'ai pas précisé que j'étais fiancée pendant l'entretien, donc il faudrait qu'on ait l'air un peu dépassés par les événements.

LALDMWhere stories live. Discover now