Chap 10

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Je jette un regard mauvais à mon téléphone, en sachant que je n'ai pas de réponse en stock qui éviterait une dispute. Je marmonne « Il n'avait peut-être plus de crème à raser » au moment où Ethan traverse le couloir en direction de la salle de bains.
– J'arrive à peine à bouger, dit-il à travers la porte de la chambre.
– Je suis recouverte de pois. (Je gémis en regardant mes bras.) Je ressemble à une marionnette de
Fraggle Rock.
Il frappe à la porte.
– Es-tu visible ?
– Le suis-je jamais ?
Il ouvre la porte et passe la tête par l'embrasure.
– Je n'ai aucune envie de faire la conversation aujourd'hui. Quoi qu'on fasse, est-ce que ça peut être
juste tous les deux, s'il te plaît ?
Puis il s'éloigne en laissant la porte ouverte et en m'abandonnant seule avec mon cerveau, occupée à
tenter de traiter cette information. Une fois de plus : quand est-ce que le plan par défaut est-il devenu de passer toutes ces vacances ensemble ? Et quand cette idée a-t-elle cessé de nous flanquer la nausée ? Quand ai-je commencé à m'endormir en pensant aux mains d'Ethan sur mon dos, mes jambes et entre mes jambes ?
La chasse d'eau s'actionne, le robinet s'ouvre et j'entends qu'il se brosse les dents. La folie me guette, je suis habituée au rythme auquel il se brosse les dents, je ne suis plus choquée par la vue de ses cheveux décoiffés le matin. Je ne suis plus horrifiée à la perspective de passer une journée en tête à tête avec lui. En fait, mon esprit fait défiler diverses options.
Ethan émerge de la salle d'eau et marque un temps d'arrêt en me voyant dans la chambre.
– Qu'est-ce qui t'arrive ?
Je me regarde pour comprendre ce qu'il veut dire. Je suis assise droite comme un « i », mon masque
de nuit sur le front, les mains crispées sur les couvertures au niveau de ma poitrine, les yeux écarquillés. L'honnêteté me semble être la meilleure politique entre nous.
– Je panique un peu, parce que tu as suggéré qu'on passe la journée ensemble et que ça ne me
donne pas envie de descendre du balcon en rappel. Ethan rit.
– Je promets d'être aussi insupportable que possible.
Puis il se tourne pour se diriger vers le salon et crie :
– Et content de moi, aussi.
Au souvenir d'hier, mon ventre se tord et mes parties intimes se réveillent. Ça suffit. Je me lève et le
suis, indifférente à la perspective qu'il me voie dans un pyjama qui dévoile presque tout, ou qu'il soit en boxer et porte un tee-shirt troué. Après notre moment dans les toilettes du bateau, le jacuzzi et ses mains sur ma peau huileuse hier, nous n'avons plus vraiment de secrets l'un pour l'autre.
Je suggère :
– On pourrait s'installer au bord de la piscine ?
– Trop de gens.
– Plage ?
– Pareil.
Je regarde par la fenêtre en réfléchissant :
– On pourrait louer une voiture et rouler le long de la côte ?
– En voilà une bonne idée.
Il joint les deux mains derrière sa nuque et ses biceps se contractent, attirant mon regard. Je lève les
yeux au ciel – pour me réprimander, évidemment, d'avoir remarqué ce détail – et parce que c'est d'Ethan qu'il est question et qu'il a un œil de lynx, il recommence, crâneur :
– Qu'est-ce que tu regardes ?

Il commence à alterner entre ses deux bras et parle avec un rythme de staccato, en écho aux mouvements de ses biceps.
– On-dirait-qu'Olive-aime-les-muscles.
– Tu me rappelles tellement Dane, là tout de suite, dis-je en luttant contre un fou rire, mais ce n'est bientôt plus nécessaire quand je vois que le maintien tout entier d'Ethan change.
Il laisse tomber ses bras et se penche en avant, appuyant ses coudes sur ses cuisses.
– Ah, OK.
– Est-ce une insulte ? je lui demande.
Il secoue la tête, puis semble méditer sa réponse pendant quelques instants. Suffisamment
longtemps pour que je me lasse et décide d'aller faire du café dans la cuisine. Finalement, il commence :
– J'ai l'impression que tu n'apprécies pas beaucoup Dane.
Oh, voilà un terrain glissant.
– Je l'aime bien, fais-je en esquivant la question, puis je souris. Je l'apprécie plus que je ne t'apprécie.
Un silence étrange suit cette boutade. Étrange, parce que nous savons tous les deux que je raconte n'importe quoi. Le froncement de sourcils d'Ethan se transforme lentement en sourire.
– Menteuse.
– OK, j'avoue que je ne te considère plus comme Satan, mais tu restes clairement l'un de ses acolytes. Enfin, je continue en apportant deux mugs dans le salon et en posant le sien sur la table basse, j'ai toujours pensé que Dane était du genre joueur de football américain qui berce des Budweiser dans ses bras, mais ce qui me perturbe, c'est que tu dois pouvoir être pire que ça alors que tu as l'air tellement sérieux.
– Qu'est-ce que tu entends par « pire » ?
– Arrête, je le coupe. Tu sais. Tu prévois toujours des voyages extravagants chaque fois qu'Ami organise un truc romantique. Saint-Valentin à Vegas. L'anniversaire de leur rencontre l'année dernière, quand tu l'as emmené au Nicaragua pour surfer. Dane et toi en train de skier à Aspen le jour de ses – eh bien, de nos – trente et un ans. J'ai fini par terminer le gâteau d'anniversaire gratuit d'Ami à Olive Garden dans son intégralité parce qu'elle était trop ivre pour tenir une fourchette.
Ethan me dévisage, désorienté.
Je demande :
– Quoi?
Il secoue la tête, sans me quitter des yeux. Finalement, il lance : – Je n'ai jamais organisé ces voyages.
– Pardon ?
Avec un rire sans humour, il passe une main dans ses cheveux. Son biceps se contracte encore une fois. Je l'ignore.
– C'est Dane qui organise tous les voyages. D'ailleurs, l'accompagner à Vegas à la Saint-Valentin m'a valu des problèmes avec Sophie. Mais je ne savais pas qu'il loupait d'autres événements. Je pensais simplement qu'il avait besoin de passer du temps entre frères.
Quelques secondes de silence s'écoulent, pendant lesquelles je repasse tous ces souvenirs dans ma tête parce que je le sens sincère. Je me souviens précisément d'avoir été présente lorsque Dane a parlé à Ami du voyage au Nicaragua et lui a dit qu'il raterait l'anniversaire de leur premier rendez-vous. Elle semblait dévastée et il s'est justifié comme ça : « Ethan – cet imbécile – a acheté des billets non remboursables. Je ne peux pas refuser, bébé. »
Je suis sur le point de le raconter à Ethan, mais il me prend de court.
– Je suis sûr qu'il ne réalisait pas que les voyages coïncidaient avec ces événements. Il ne le ferait pas. Seigneur, il se sentirait très mal.
Bien entendu, il le voit sous cet angle. Si les rôles étaient inversés, je ferais ou dirais n'importe quoi pour défendre ma sœur. Je m'efforce de prendre un peu de recul et dois admettre que ce n'est pas le moment de régler ça, et que ça ne nous regarde pas. C'est entre Ami et Dane, pas entre Ethan et moi.
Ethan et moi nous entendons bien, ne gâchons pas tout, tu veux bien ?
– Je suis sûre que tu as raison.
Il lève les yeux vers moi avec une expression de reconnaissance et peut-être avec un peu plus de lucidité aussi. Pendant tout ce temps, je pensais qu'il était derrière ces voyages – il le saisit maintenant. Non seulement ce n'est pas le connard critique que je croyais mais il n'est pas non plus la terrible influence responsable de la mélancolie de ma sœur. C'est beaucoup de changements d'un coup.
– Allez, je lance. On s'habille et on se dégote une voiture.

LALDMWhere stories live. Discover now