Tout a commencé par un « je t'aime », un cœur ouvert jeté par terre, un mal de mer, un train qui déraille et qu'on oublie, une dernière bataille et un mépris. Betty était venue lui voler un baiser, l'exhiber comme un trophée et s'en aller. Comme si rien n'avait jamais existé, comme si toute cette histoire n'avait été qu'un rêve. Au final ce baiser aura été comme une balle qu'on tire à bout portant, une explosion au fond du cœur comme une bombe à retardement. Des faux « je t'aime », voilà tout ce qui reste de ce grand Nous. Un échafaud et une corde nouée autour de la branche d'un arbre desséché par le soleil et la chaleur du désert. Il ne reste plus rien de cet amour si ce n'est quelques cendres au fond d'un cendrier, un roman brûlé dans une vieille cheminée comme pour tenter d'oublier qu'il ait pu exister, ce meurtrier, ce justicier avec son sourire effronté et son Smith & Wesson, chargé.
Elle n'était qu'un artifice de plus dans la liste de ses crimes. Il lui aura suffit de goûter au poison de ses baisers sans penser que ce goût amer pourrait un jour la tuer. Elle s'est levée un matin du côté de Jackson ville, là où il ne reste plus rien à vivre, ni d'avent, ni d'avenir. Quand on ne peut plus se dire « je t'aime » et qu'on se dit l'amour c'est rien. Elle et Jesse James. Comme une diligence remplie d'or qui partirait en feu et sa grande gueule placardée sur tous les murs de la ville.
Betty s'est enfuie avant que les doigts de Jesse James ne parviennent à l'étouffer. Il avait déjà tenté de l'étrangler une première fois alors qu'ils baisaient salement dans la salle des coffres d'une banque blindée d'Arizona où la glotte des trois employés pissaient le sang comme un geyser. Betty jouissait aussi fort qu'elle hurlait devant le regard figé du shérif Ashton qu'elle venait d'égorger d'un simple coup de hache. Elle n'était pas comme ça Betty quand ses pupilles se révulsaient et que son cœur partait en s'emballant sous les assauts et les coups de reins de son amour de braqueur. Il avait beau porter une alliance à sa main gauche, elle savait bien qu'il n'y avait qu'elle qu'il aimait. Elle en avait la certitude, par dessus tout, les cadavres et les têtes à couper. Tout ce qu'il pouvait lui donner était bien plus fort que cette pauvre vie, une vie d'esclave et un mari, à lécher des bottes et les crucifix du père Henri.
Mais ce jour-là, Jesse était allé trop loin en offrant Betty à son frère cadet et ces trois salauds de bandits qui empestaient la pisse et le crottin séché. Tout ça pour une après-midi de baise où la belle Betty avait perdu son beau sourire. Ils l'avaient laissé dans cette chambre d'hôtel aux volets mi-clos comme un vulgaire bétail qu'on abandonne et qui meurt à l'abattoir ou dévoré par les coyotes du Sonora. Elle valait mieux que ça Betty. C'est ce que ce voyou de Robert Ford lui avait fait croire, en la voyant pleurer au sommet de cette colline qui surplombait le passage des diligences. Elle tenait un fusil dans sa main droite pour se donner une contenance, se sentir vivante, elle aussi. Il avait beau la culbuter comme une vulgaire poupée, il savait qu'elle ne l'aimerait jamais et qu'elle donnerait tout pour son Jesse James. Elle était lumineuse quand il était là. Elle était comme emportée dans des reflets de voies lactées. Elle en voulait du rêve, Betty, de la Californie et des lacs à billets. Elle n'arrivait pas à oublier aussi les cadavres et l'odeur du métal qui s'enfonce dans sa gorge.
Ce que ce lâche de Robert Ford avait fait, Betty n'en saura jamais rien. Alors quand il lui a annoncé la mort de Jesse James, c'est avec lui qu'elle est partie, son salopard, ce malotru pour qui elle allait frotter les habits pour le reste de sa vie. Elle tenait la baraque comme une vraie femme modèle, celle des livres d'école à servir son mari comme une esclave. À moins qu'à la prochaine lune, avant qu'il ne la viole une nouvelle fois, elle retrouve le courage de Jesse James, de l'abattre d'une balle entre les deux yeux.
