La solitude du super héros, tout seul au bar dans un coin noir, personne ne le voit et pourtant il est là, le cœur gros d'avoir voulu sauver un monde qui ne voulait pas de lui. Il est là, le regard perdu au fond d'un verre de whisky Andalou, de Brighton ou d'Orlando. Il ne sait plus ce qui ne tourne pas rond, peut-être par ivresse ou par mélancolie. Il fait valser le liquide au fond du verre pour s'enivrer de son parfum, se rappeler de ces matins où il surplombait la ville du haut de ses gratte-ciels. Il pouvait rester là des heures à écouter les vibrations de la cité bleue, ses hurlements et ses tourments, un ouragan en perpétuel mouvement. Il y avait tous ces rires aussi qui se mélangeaient sans fin aux peurs, aux larmes et au bruit des balles comme des silences éclairs qui vous brisent et vous transpercent. La vie défile de plus en plus vite. Il ne faut pas s'arrêter non surtout pas car plus on en fait et moins on pense, moins on prend le temps de regarder le monde qui nous entoure. Cette vie du quotidien que l'on fuit la tête dans nos écrans à cracher nos sanglots, à rêver dans la vie des autres, des photos éphémères, des moments volés pour la postérité. La sienne, elle partira dans une fumée blanche avec un parfum boisé comme toute cette vie qui brûle en lui comme un feu sacré, au service de la beauté, des rêves et d'un sourire oublié qui dans tes yeux s'était posé.
Le barman est parti, le jeune pianiste aussi, il n'y aura plus de musique ce soir, plus de notes ni d'histoires. Les lumières du bar vont bientôt s'éteindre. Il faudra reprendre alors le chemin de la rue et affronter l'ignorance et puis l'oublie. Du statut de super héros on passe très vite à celui de monstre mortifère, comme ça, en un clique ou dans la claque d'une porte qui se ferme, d'une vie qu'on enferme. La beauté du cœur s'efface dans le regard de l'autre. Il a pourtant été son héros, le plus grand, le plus beau. Il a tenu le monde entre ses doigts. Il en a même sauvé des vies dans ce grand incendie que tu as allumé. La cloche vient de sonner, il absorbe une dernière gorgée. Elle brûle sa trachée mais il se sent bien, prêt à retourner faire semblant, la cape luisante et le torse bombé. Ce n'est pas un déguisement qu'il porte sur son dos mais le poids de ce monde. Tous ces chemins empruntés le rendent beau et laid à la fois. Il est fait d'ombre et de lumière. La nuit est un paradis. Il pose son verre sur le comptoir, le cœur lourd et d'un pas léger, il part reprendre le cours de sa vie, celle d'un super héros, sans exploit ni bravoure, celle d'un homme, un ange déchu du petit jour.