Si tu respires

0 0 0
                                    

Nous retrouver t'aura permis de tourner la page de notre amour comme une balle tirée vers le soleil où tout explose et puis renaît. La mine du crayon s'est brisée sur le point final de notre histoire. Il ne restait qu'une dernière page à écrire avant de refermer définitivement le livre de Nous, ce grand foutoir inachevé où il faisait si bon d'aimer. Et puis un jour où tu es partie sans la moindre explication. Peut-être pour te libérer du poids de moi, de cet amour dont tu ne voulais plus. Tu as disparu dans un souvenir radieux, nos deux corps étendus au coin du feu. Nous avons été des anges heureux, des amoureux de passage perdus dans le labyrinthe de la vie. Je ne finirai pas comme le camarade Vladimir, pendu à la poutre du salon. Je ne te laisserai pas le droit de décider de ma mort. Je repars au rythme du temps et des escarres de ma mémoire. Les sabots des grands chevaux blancs martèlent la terre au son du fouet et des cris du Cochet. Je file dans cette calèche où nous avions fait l'amour tout près du marché d'Odessa quand je n'étais qu'un jeune soldat. Tu disais à cette époque que j'étais tout pour toi. Aujourd'hui, c'est comme si je n'avais jamais existé. Tu as laissé une corde nouée autour de mon cou et avec laquelle tu joues encore parfois. Nous vivons dans une époque incertaine, pleine de misère et de peines. La propagande du Tsar est omniprésente et chaque nuit les habitants des grandes villes disparaissent dans les caves, pour échapper aux frappes de l'armée impériale. Et pourtant, quelque part dans la nuit, il y a toujours deux corps, dans un bar ou sous un lit qui s'aiment et se sourient comme si c'était la seule solution pour rester en vie.

Je n'oublierai jamais l'escalier du Potemkine qui mène au marché d'Odessa, de ce soleil étincelant et des chimères suspendues à ta voix éraillée. Ce matin-là, les habitants de la ville s'étaient rassemblés autour d'une jeune tzigane aux yeux d'émeraudes et à la beauté enchanteresse. Elle chantait au coin d'une rue la révolte et puis l'amour. Elle a su emporter nos cœurs par delà les batailles. Nous étions ces gueules d'anges, ces meurtriers. Ce bel héros que tu attendais en secret. J'ai su à au moment où tu m'as regardé, qu'une fois les combats terminés, il y aurait à nouveau de l'amour et peut-être même un bébé. Des tracts de propagande tombaient du ciel quand tu es partie en courant. Tu portais des habits colorés, une robe rapportée des Indes qui épousait des formes douces et généreuses à la fois. Tes grands yeux noirs et ce visage rond étaient comme une terre infinie, un ventre plein de vie. Il y avait tant d'amour dans ton regard, tant de mystères aussi. Quand les sirènes d'alerte ont retenti, les bombardiers de l'armée n'étaient qu'à quelques minutes du port. Ils arrivaient par centaines, sombres et menaçants. Il fallait remonter vers la ville dans la panique et puis l'urgence. Plusieurs obus ont explosé dans la mer jusqu'à en faire trembler le sol appauvri.

Le vacarme des moteurs était vite devenu oppressant. Les gens couraient pris de panique, certains trébuchaient et se faisaient piétiner dans l'indifférence générale. Le peuple russe était désunis par cette guerre qu'il ne comprenait pas. Je t'ai aperçu au loin, tu serrais tes mains contre tes oreilles, des larmes brûlaient tes yeux immenses. Plus aucun son ne parvenait à sortir de ta bouche quand tu appelais au secours. Ton visage s'est raidit. Je t'ai perdu de vue quelque secondes, emporté par la foule. Quand je t'ai retrouvé, il était déjà trop tard. Ton corps était étendu, inconscient au milieu de la grande place vide. Lorsque je me suis agenouillé près de toi, tu ne respirais déjà plus. J'ai posé mes mains sur ta poitrine pour te ramener à la vie. À chaque pression exercée sur ton cœur, je me disais que ta survie était liée à la mienne. Cette guerre m'avait emporté bien loin de ce que j'étais vraiment. Un garçon doux, tendre et attachant, un brin rêveur. Je voulais devenir écrivain ou cinéaste, enfin quelque chose comme ça. Que tout cela est loin aujourd'hui. Je ne suis plus qu'un meurtrier. J'ai a tellement honte de ce que je suis devenu.

« Elle doit vivre, à tous prix, elle doit vivre. Mon âme n'est pas si noire, regardez moi Seigneur, regardez moi. Si je la sauve peut-être me pardonnerez-vous mes crimes et mes péchés ? »

Les Femmes AssassinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant