Le Shérif de Mason Farms

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Je crois aux monstres, aux vivants et au morts. Je crois à l'absurde, aux coïncidences et aux rencontres. Je crois au destin, à ses pièges, et à ce labyrinthe qui m'a transporté vers toi. Qui aurait cru tout ça, le jour où la police a tiré sur toi. C'était dans le comté d'Érié en Pennsylvanie. Cela faisait six mois que nous avions quitté New-York à bord de ce vieux van Mercedes que j'avais bricolé avec ton père. Nous rêvions de grands espaces, de lacs et de forêts, de ces déserts majestueux plus à l'Ouest, d'une forme de liberté où rien ne pourrait plus jamais nous faire penser à cette vie de citrouille et de chaîne matelassée. Tous entassés pour finir les premiers, prisonniers de notre propre argent, comme partout en Occident, à accepter les sous-chefs et les emplois foireux sans se demander un seul instant pourquoi suis-je là mon dieu. Moi je le sais déjà, je suis là pour être avec toi. À la vie, à la mort, c'est ce que nous nous sommes tatoués l'un et l'autre à l'avant bras. Il nous suffirait de raconter nos vies sur internet pour subvenir à nos besoins. Les photos de nos voyages, les soirées entre potes à jouer de la guitare et à faire cramer des chamallows low-cost. Oui mais voilà, j'ai pas de guitares et toi, t'aime pas la guimauve. Ce que tu aimes, c'est sentir le sang chauffer dans tes veines, comme un volcan avant l'irruption, il te pousse à te raidir et ton regard change. J'ai vu ça la première fois que tu m'as mordu et que sur ta bouche sanguinolente, je te fais sourire. C'est pour ça que je t'aime Lolita, pour tes 20 ans et ta haine du présent. Je pourrai mourir pour toi comme quand ce flic a tiré sur toi. Il n'y aura pas de seconde balle. Celle-là, je l'ai logé entre ses deux yeux. Allongée sur le flanc, je t'entends gémir au milieu de ce grand lit blanc où nous voulions un enfant. Je dépasse les limites et la vitesse à la nuit tombante. Le van file sur une route humide tous feux éteints comme si nous faisions fasse à notre destin. Nous ne sommes pas si loin de la frontière canadienne où nous disparaîtrons toi et moi comme deux poupées de bois ou une purée de petit pois. Tiens le coup ma Lolita. Je jette un œil dans mon rétroviseur. Et je te vois qui dors, les mains posées sur ton ventre, avec ta grosse tête d'Halloween et cette mer rouge aussi vrai que nature dans laquelle tu baignes. Accroche toi mon amour. Je vois l'ancienne d'un médecin. La frontière attendra, tout comme la nuit, tôt ou tard, elle viendra. Elle viendra nous chercher, nous rafistoler, coller nos corps contre un oreiller, unir nos vies toujours pieds au plancher. Le van s'engouffre dans la ville à moins d'un kilomètre de Silver Creek. C'est que la police a dressé un barrage. Les gyrophares de leurs voitures tournoient entre chiens et loups et moi qui hurle aux larmes et aux joies, à cette vie qui bascule pour morceau de pain et quelques bouts de jambons volés dans l'épicerie fine de la vieille Lucy. Comment se douter qu'elle se tapait ce sale flic poisseux dans l'arrière salle de sa boutique. Elle criait si fort que tu as saisi machinalement un sémaphore en forme de lanterne que tu as explosé dans sa face. « Ramène-toi misses Camwel » t'ai-je crier pour te faire redescendre. Tu aurais dû voir dans mon regard comme j'avais peur mais il a fallu que tu retournes vers elle, un bloc de pierre dans une main pour parapher sa sale gueule de ton empreinte indélébile. C'est là que le coup est parti avec sa flamme au bout du canon et ce cri de douleur quand l'ogive a fait voler ton ventre en éclat. Notre enfant, notre toi et moi. Tu ne partiras pas sans moi Lolita Camwel. Ce van à nous, c'était toute notre liberté de fuir ce monde, de tout oublier, les cadavres parsemés, tous ces vols et les mains armés. Je t'ai aimé si fort mon bébé. Pour toi, j'ai tout sacrifié même ma vie tu vois. Il n'y a que dans l'amour que je sais su exister.

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