Je peux essayer d'être là

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               Ensuite, après quelques minutes, il se passe quelque chose d'étrange.
Jonah s'approche et s'installe à côté de moi. Il regarde au loin. Le ciel est dégagé, il est tard et le soleil commence à descendre, teintant notre monde d'une lumière orangée. 
Je profite silencieusement de sa présence sans oser lui parler. Comme si une force qui bourdonne dans mon ventre m'empêche de produire le moindre son. 
Il finit par prendre la parole.
- Pourquoi tu restes seule ? Tout va bien ?
Je souris. Encore cette question.
- Je vais bien. Je crois. En fait je n'avais pas réalisé que j'étais resté si longtemps dans mon coin. 
Il y a un silence. J'hésite.
- Et toi, ça va ?
- Oh, bah moi tu sais... il se tourne pour me regarder ; Je vais bien. 
Je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression qu'il voulait me dire autre chose. Mais il se tait, et je me demande si je peux lui parler. Je choisis de me retenir, mes pensées m'absorbent à nouveau, tant que je ne me rends pas compte que je laisse échapper une question. 
- Si je disparaissais, qui s'en soucierait ?
Jonah me regarde bizarrement. La phrase est sortie sans même que je ne me tourne vers lui, mais il me répond. 
- ... Euh, ta famille, tes amis... Moi.
- Haha, je sais que tu ne m'aimes pas. 
Je ne sais pas ce qu'il m'arrive. C'est comme si mes pensées les plus refoulées décidaient de sortir et ce, sans que je ne réussisse à les en empêcher.
- Ah ?
- Peut être que les mots sont trop forts. Disons que tu préfères quand je ne suis pas là.
- Qu'est-ce qui te fais dire ça ?
Je soupire, plonge mes mains dans mon visage avant de répondre.
- Rien. 
- Non, attends, explique.
Son ton est étrangement doux. Et son visage exprime un sentiment que je ne comprends pas vraiment. Comme s'il s'inquiétait de l'idée que j'ai de lui. 
Il s'assoit en tailleur, face à moi. 
J'ai un petit rire nerveux.
- Ce n'est qu'une impression due à de nombreux moments qui... Non, mais c'est sûrement idiot. Je dois égoïstement ramener à moi des actions qui ne me concernent pas...
- Vas-y, dis. Je ne vais pas te juger, ce n'est pas mon genre. 
- Je ne peux pas savoir ce qu'il se passe dans ta tête.
- Justement, je pourrai t'expliquer. 
Je soupire. 
- OK, d'abord, le matin tu me fais toujours signe, mais tu ne me rejoins jamais, alors que tu traînes tout le temps avec Quentin, Simon et Axel.
Je lui laisse le temps de répondre.
- Ah. En fait je pensais que tu ne voulais pas que je vienne. Que je te dérangerais. Et ensuite, je ne viens pas en voyant Quentin arriver parce que ce serait bizarre, et tu pourrais croire que je ne te rejoins pas au début parce que je ne t'apprécie pas ; il a un petit rire. Ce qui ne sert à rien visiblement. Mais si tu veux, je viendrai m'asseoir avec toi. 
- Te sens pas obligé.
- Non, je le fais si je le souhaite. Il sourit. Quoi d'autre ? Ce n'est pas juste pour ça que je ne t'aime pas, hein ?
- Non, il y a aussi toutes ces fois où je te rejoins alors que tu es avec Quentin et Chloé, où d'autres gens que j'aime un minimum, et où tu disparais à la seconde où je suis là.
Il ne répond pas immédiatement.
- Ouais. Je n'étais pas sûr... Je pensais que je dérangeais... On a tous deux de gros problèmes pour se comprendre. Je crois qu'on devrait se parler plus souvent.
Je cligne des yeux, et me pince discrètement le bras pour être sûre de ne pas rêver cette conversation. Mais c'est bien réel. Je relève la tête vers lui.
- Je crois aussi. 
On se sourit. J'aimerais tellement prendre une photo de lui, là, maintenant. Avec la lumière du crépuscule qui se reflète dans ses yeux noirs, son sourire, et ses deux grains de beauté sur la joue droite... Bon, les grains de beauté n'ont rien à voir avec la beauté du moment. Mais ça me semblait important de les préciser.

Sur le chemin du retour, je me tiens inconsciemment à l'écart. Simon s'en aperçoit. Il ralentit le pas pour se retrouver à côté de moi.
- Ma petite Émilie, comment tu vas ?
J'ai un sourire triste. Je n'arrête pas de penser à ce moment avec Jonah. Mais maintenant il fait nuit, et tout semble s'être éteint. En plus il fait vraiment froid.
- Je vais bien, même s'il fait un peu frisquet.
Mon sourire doit être trop triste, car Simon passe un bras autour de mes épaules et me murmure à l'oreille ;
- T'en fais pas, ça va aller. 
Je soupire, incapable de croire complètement à ses paroles.
C'est alors que je sens sa main se poser sur ma hanche, et il commence à me chatouiller. 
Impossible de me retenir, j'explose de rire et tente de le repousser. J'arrive à peine à le supplier d'arrêter. Quand je réussis à m'échapper, il me faut un peu de temps pour reprendre ma respiration.
Finalement, je retourne auprès de Simon, et pose ma tête sur son épaule pour lui murmurer un merci. 




Ce matin, après avoir fait de grands signes amicaux à Jonah, il vient s'installer à côté de moi, sur le banc.
- Tout va bien ?
J'ai un petit rire. Toujours cette question.
- Et toi ?
- Je vais bien, mais j'avais demandé en premier. Qu'est ce qui cloche ?
Je pousse un long soupire, sans parvenir à répondre. Après un silence, il pose une main sur mon épaule et la secoue légèrement. 
-Allo la Terre, ici la Lune ?
Encore une fois, je lâche un sourire.
- Je ne sais pas trop. Je me sens bizarre en ce moment. C'est comme si tout un tas de pensées qui peuvent être qualifiées de négatives venaient m'absorber l'esprit. Et parfois, elles sont si nombreuses que je n'arrive pas à faire autre chose que pleurer.
Il y a un silence. Je décide de continuer.
- C'est horrible de n'avoir personne à qui parler dans ces moments-là. Ceux où je me sens si mal que je pourrais passer toute ma vie allongée sur le sol de ma chambre à tout remettre en question. 
Je ne peux pas en parler avec Coralie, elle n'aurait pas la bonne réaction. Ni à Simon parce qu'il ignorerait, sujet sans doute trop sérieux alors qu'on parle toujours de trucs second degrés. Ni aux autres. Parce que je sais que ça va juste les gêner. 
Mais si mes meilleurs amis ne peuvent pas être présents quand j'en ai besoin, qui le sera ?

La réponse de Jonah me surprend ; 
- Dis-moi tout.
Il me regarde avec profondeur, et je sens quelque chose pétiller au creux de mon ventre. Un sentiment de confiance m'envahit. C'est exactement comme lorsque que nous étions au skate-park. Je pourrais tout lui dire.
- Avant, je pensais qu'il suffisait d'en être persuadé pour aller bien. C'est faux. 
Ce n'est pas parce que je me répète inlassablement que tout va bien que c'est le cas.
Ce n'est pas parce que je me répète inlassablement des mots rassurants que c'est vrai.
Ce n'est pas parce que je me suis promise de ne pas pleurer que je ne vais pas pleurer. 
Si tu savais comme j'ai envie de disparaître. 
Si tu savais comme je me déteste. 
Comme ça me fait mal. 
Tous les jours. 
Comme mon cœur se brise, je ne peux rien y faire. 
Comme j'ai besoin de sentir une présence près de moi.

Je n'ose pas tourner la tête vers Jonah. 

Il se lève, me tire par la main et me serre dans ses bras sans dire un mot. À mon oreille, il murmure
- Je peux essayer d'être là, si tu veux.

ÉmilieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant