En classe, le lendemain, je me sens vraiment mal. J'ai la tête lourde, mal au crâne et une énorme boule dans le ventre. À côté, Jonah gribouille dans son cahier. On ne s'est pas parlé depuis la dernière fois, dans la "ruelle". J'ai l'impression qu'il essaie de prendre ses distances. J'ai bien envie de lui parler pourtant.
Non, pas envie.
Besoin.
Après une légère hésitation, je me penche vers lui comme je l'ai déjà fait tant de fois, et murmure,
- Est-ce que c'est normal de ne jamais se sentir bien ? D'avoir toujours cette boule dans la gorge. Cette envie de pleurer. Ça t'arrive à toi ?
Il ne répond pas. Il ne me regarde même pas. Son expression ne semble pas avoir changé.
Soudain je me sens vraiment idiote.
- Désolée, je ne sais pas pourquoi je te dis ça. Je ne sais pas pourquoi je te dis tout le temps tout ça. Ce n'est pas important.
Il baisse la tête.
- Je ne sais pas quoi te répondre Émilie. Je crois que je ne suis pas la bonne personne. Tu devrais parler de ce genre de chose avec quelqu'un d'autre. Pas parce que je n'aime pas te parler... Mais parce que je n'ai aucune idée de la façon dont je peux t'aider.
Je fronce les sourcils.
- Tu m'aides quand tu m'écoutes.
- Je suis désolé.
- Tu aurais dû me le dire plus tôt.
- C'est que... Je viens juste de m'en rendre compte.
- C'est maintenant que tu te rends compte que mes histoires te dérangent ? Sérieux ?
Il plonge son visage dans ses mains.D'un bond, je me lève, et une vague d'émotion me serre le cœur. Je crois entendre une voix m'appeler, je crois sentir la main de Jonah sur la mienne, mais la réalité et le rêve semblent s'emmêler. En un élan, je me plaque contre la porte, et l'ouvre dans un bruit sourd, avant de courir aveuglément dans les couloirs. Je crois entendre un raclement de chaise derrière moi. Je crois voir Jonah debout, prêt à me courir après. Sauf que plus rien ne semble pourvoir me retenir.
Les larmes que je refoulais jusque-là se mirent à rouler sur mes joues. Je ne comprends pas cette détresse qui me submerge. Je crois que ça fait longtemps qu'elle est en moi. Mais elle n'avait encore jamais pris le dessus.Je suis debout, sur le rebord d'un pont, à quelques mètres du lycée. Je ne sais pas comment je suis arrivée ici.
À mes pieds, s'étend le doux cours d'eau de la rivière. Il est parsemé de petites feuilles, et des bateaux sont accrochés à ses bords. On dirait de minuscules jouets. Je tends une main, comme pour en attraper un, mais je manque de tomber.
Soudain, je comprends qu'un pas de plus, et je meurs.
Un vent de désespoir me balaie, et je trébuche légèrement sur le côté.Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis sentie enfermée. Prisonnière de mes pensées, coincée dans mon crâne. Incapable de voir autre chose que ce que mes yeux me renvoient.
Je ne compte plus les fois où j'ai regardé ces gens, assis autour de moi, et je me suis demandée ce que je pouvais bien foutre là. Parmi eux.
Si je mérite cette place.
Si je possède réellement cette place.
Si je suis pour eux ce qu'ils sont pour moi.
Si je leur parle correctement.
Si j'ai le droit de leur parler.
Si je suis vraiment avec eux.Si je disparaissais.
J'avance mon pied droit dans le vide, comme pour descendre un escalier.
Si je disparaissais, quels seraient ceux qui s'en soucieraient ? Qui se demanderait au moins où je suis ?
Ou juste, qui se dirait "Tient, Émilie n'est pas là aujourd'hui. J'espère qu'elle va bien."Peut-être que parler avec quelqu'un m'est impossible.
Peut-être que je suis destinée à rester seule, coincée à jamais dans les méandres de mon esprit.Le vent me fouette le visage.
- Émilie !
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Émilie
Short StoryEst-ce que tout va bien ? C'est une question intéressante. Je ne vois pas comment "tout" pourrait aller bien. "Tout", ça englobe trop de chose. "Tout" ne peux jamais aller bien. Mais si tu me le demande, je te répondrai sûrement "oui".