C'est compliqué...

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                Lorsque je me retrouve dans le train pour rentrer chez moi, je suis incapable de comprendre comment la journée a pu passer aussi vite.
Seuls moments notés au marqueur indélébile dans mon esprit, je repense à Jonah s'adressant à moi, me regardant, souriant. À la couleur de ses yeux, la forme de son visage, au son de sa voix. Machinalement, je sors mon cahier de maths. Je délimite un encadré dans lequel j'écris la date avant de noter en dessous.
---Est-ce que tout va bien ? 
C'est une question intéressante. Je ne vois pas comment "tout" pourrait aller bien. "Tout", ça englobe trop de chose. 
"Tout" ne peut jamais aller bien. 
Mais si tu me le demandes, je te répondrai sûrement "oui". ---

M'appuyant contre la vitre, je me demande si tout va bien. 

Arrivée chez moi, je ne me sens pas bien. Mon père travaille dans son bureau et ma mère ne sera pas là avant 20h. Dans la salle de bain, je presse ma main contre mon front. Il me paraît brûlant. Mais la petite machine n'indique pas de fièvre. 
Lentement, je m'installe à mon bureau pour finir mes exercices de maths. Vers 19h, je suis toujours en train de travailler. Mon cerveau sur le point d'exploser, je décide d'aller faire ma toilette. 
À table, j'appuie mes mains contre mes yeux. Inquiet mon père demande si ça va. Je réponds à l'affirmative avec un sourire forcé. Il ne voit pas la différence. Maman rentre. Elle nous demande comment s'est passée la journée, et je dois avoir une tête affreuse car elle aussi me demande si tout va bien. Je lui offre la même réponse qu'à papa, au battement des cils près. 

La soirée est floue, tout défile rapidement sous mes yeux, j'ai l'impression de perdre totalement pied. 
À 22h07, je reçois un message.

Je reçois un message de Jonah.

"- Hey hey, je suis perdu, je prends quoi comme manuel demain déjà ? 😅"
Je souris. Et le monde cesse doucement de tourner. Lorsque je m'apprête à appuyer sur envoyer, une boule se forme dans mon ventre. J'hésite. Puis me lance ;
"- Sérieux ? On en a parlé tout à l'heure !"
"- Pourquoi tu me grondes, j'écoutais le cours, j'suis un élève sérieux moi😭"
"- Un élève sérieux qui avait oublié de faire ses exos de maths..."
"- 😭
Oui.
Oh, grande Émilie, je vous prie de bien vouloir alléger mon sac pour demain, je ne souhaite pas perdre mon dos"
"- 😂
Et bien j'accepte d'accéder à ta requête, jeune homme. Tu prends physique et anglais, idiot."
"- Merci😂😭"
"- À ton service"

Je ne peux m'empêcher de saisir un post-it, sur lequel j'écris :
"J'ai la sensation de couler. Tu es ma bouée de sauvetage. Grâce à toi, je garde la tête hors de l'eau, hors des abysses sombres de notre monde qui continuent inlassablement de me tirer vers le bas"






Aujourd'hui, une sortie au skate-park est prévue. Je ne sais pas qui vient, à part Simon, Axel, Chloé et Quentin. À la sortie du lycée, un tas informe d'élève bloque le passage, mais je parviens à trouver Chloé. 
Elle me tire par le bras, et je n'ai pas le temps de dire au revoir à qui que ce soit parce qu'elle m'entraîne en direction du skate-park, avec comme prévu Simon, Axel et Quentin mais en plus, Agathe, Mia et Jonah. 
Ils se mettent à parler. Si au début j'arrive à suivre, hochant la tête quand Mia demande si sa coupe de cheveux est bien, riant quand Simon et Axel font les guignols, je finis par me perdre. Je ne les comprends plus, les mots ne m'atteignent plus. 
Je me contente de sourire. Prenant exemple sur les plantes décoratives de ma chambre, je ne participe pas vraiment mais je fais jolie dans le décor. Du moins j'espère.
Une fois au skate-park, notre groupe se divise. Simon, Axel et Jonah s'amusent à faire des figures. Jonah simule un skate sous ses pieds et affirme aux autres qu'il fait des kick flip de malade. Quentin et Chloé s'éloignent un peu, se murmurant des mots doux à l'oreille. À côté de moi se trouvent Agathe et Mia.
Il se passe la même chose que tout à l'heure. Petit à petit je m'éloigne sans m'en rendre compte. C'est lorsque que Mia et Agathe m'annoncent qu'elles s'en vont que je sors de mes rêveries. Une heure est déjà passée. Je hoche distraitement la tête, et leur fait signe lorsque qu'elles s'éloignent.
Pourquoi je me détache de cette façon ? Qu'est-ce que c'est que cette chose, qui m'engloutit petit à petit ?
-Em! Como estàs? 
Chloé surgit à côté de moi, Quentin ayant rejoint le groupe de garçon.
Je regarde Chloé en silence un moment. Elle sort avec Quentin depuis le collège et ils ne se sont jamais séparés. Elle n'arrête pas de dire que ça relève du miracle, car ils n'ont absolument rien en commun. Les autres affirment qu'ils sont le couple idéal. Elle fronce les sourcils, plissant son eye-liner noir. Et je me décide enfin à lui répondre. 
- Je vais bien, et toi ?
- Oui... Tu matais Jonah ?
Je me fige. Je n'avais même pas remarqué que mes yeux étaient braqués sur lui. 
-Comment ça ? je réponds, la voix tremblante. 
Elle a un petit rire.
- À chaque fois que je te vois, t'es en train de le regarder. Mais vraiment tout le temps.
Je ne sais pas quoi répondre. 
Peut-être que je rougis.
Elle me donne une tape sur l'épaule 
- T'es amoureuse de lui !
Je ne peux retenir un sourire. Cette idée ne m'était jamais venue à l'esprit à vrai dire. Mais l'entendre est agréable. Comme si ces mots me délivraient de... quelque chose.
- Je ne sais même pas si on est amis..., je soupire
- Mais vous êtes à côté en classe, et vous vous parlez souvent non ? 
- Pas vraiment... Enfin, je ne suis pas sûre.
- Comment ça ?
- Je ne saurais pas trop l'expliquer. C'est compliqué... Je me tourne vers Chloé en souriant avant de continuer ; mais si ce que l'on ressentait était simple, on n'en ferait pas tout une histoire à chaque fois.
Chloé ne répond pas tout de suite. Elle se tourne vers Quentin, qui était justement en train de la regarder. Il se font signe et il lui demande de venir vers lui. Elle se lève.
- Tu as raison. Je t'abandonne, désolée, je dois retrouver mon "C'est compliqué".
Elle sourit.
- Cette conversation n'est pas terminée ! déclare-t-elle, pointant un doigt sous mon menton. 
Je me contente de hocher la tête, affichant un air terrifié qui la fait rire.

Ensuite, après quelques minutes, il se passe quelque chose d'étrange.

ÉmilieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant