Chapitre 10

11 2 1
                                    

Marie se laissa submerger par la masse de corps. Même si elle avait encore eu l'énergie de les repousser, elle n'en avait plus l'envie. Elle ne reverrait plus ses amis ni sa propre gare, à quoi bon ?

Les larmes coulaient silencieusement sur ses joues, des mains l'agrippaient de toute part, elle baignait dans un mélange de cris désincarnés et de marmonnements. Elle se retira dans son esprit, revivant les moments passés avec ses amis. C'était comme frotter du sel sur une plaie ouverte mais ça restait plus supportable que l'idée d'être abandonnée et d'avoir abandonné.

Sa léthargie prit fin quand elle ne sentit plus les corps. La nuit était tombée et avec elle, l'agitation des âmes. Marie se remit alors sur ses pieds et regarda autour d'elle.

La gare était encore plus effrayante sans les rayons du soleil pour réchauffer l'atmosphère. Partout où son regard se posait, elle avait l'impression de voir une ombre en mouvement. Un long frisson la traversa et elle se décida à aller examiner les quartiers des ingénieurs.

Le plancher craquait sous ses pieds, menaçant de s'effondrer sous son poids à tout moment. Des volutes de poussières s'élevaient dans l'air, illuminées par les rayons de la lune. Les murs s'effritaient et les restes d'un papier peint jauni par le temps se décollaient un peu partout. Un lustre s'était écrasé au sol, éparpillant des éclats de verres partout. Le vent faisait claquer les volets cassés.

— Jamais je dors là, marmonna Marie.

Elle trouva une couverture dans un état convenable dans une des chambres et s'installa dans la moins délabrée. Un des volets s'était décroché, le matelas ne comportait que deux tâches d'humidité, le sol ne craquait pas trop et tous les carreaux tenaient encore sur les fenêtres.

Marie se fit une raison et se roula en boule sous sa couverture avant de s'endormir d'un sommeil lourd.


***


Un craquement sourd la réveilla en sursaut. Les yeux écarquillés, elle analysa l'espace autour d'elle pour savoir d'où le bruit pouvait bien provenir. Elle se rappela alors de sa situation et ravala un soupire. Elle s'extirpa du lit et alla fouiller dans la cuisine pour voir si elle pouvait se dénicher de quoi manger. Elle tomba sur des aliments moisis dans les placards et elle eut un haut le coeur. Elle finit cependant par trouver quelques conserves et en avala une après l'avoir réchauffée rapidement grâce aux plaques miraculeusement encore fonctionnelles. Un repas froid aurait surement achevé son moral déjà bien entamé.

Une fois son repas terminé elle retourna sur le quai, se demandant quoi faire. Elle ne pouvait pas rester là les bras ballants, il y avait forcément quelque chose à faire.

Elle décida de commencer par déblayer les débris et les feuilles qui volaient un peu partout. Les âmes la regardaient passer devant elle d'un regard vide. Marie se vida un peu la tête grâce aux gestes répétitifs. L'activité physique lui permit également d'avoir bien chaud. Elle n'était pas habituée à ce vent froid..

Les jours suivants furent très similaires. Elle se levait, mangeait ce qu'elle trouvait, nettoyait ou reparait la gare, se baladait, se perdait dans ses pensées, mangeait et allait se recoucher. Un jour, elle était allée inspecter le portail. Elle s'était alors rendu compte que même lui était dans un sale état : l'encadrement s'était effrité, des débris le bloquaient en partie et sa lumière clignotait faiblement. De rares âmes le traversaient, elles se retrouvaient alors directement dans un état d'agitation et de folie intense.

Marie se demandait de plus en plus si elle faisait bien de rester ici. Elle s'était dit qu'en tant qu'ingénieure elle pourrait sûrement reprendre le poste vacant de celle-ci mais quoiqu'elle fasse, l'état de la gare ne s'améliorait pas.

L'ambiance n'aidait pas non plus. En plus du caractère abandonné, les âmes semblaient détraquées et des grognements ou des gémissements s'élevaient parfois dans la gare, donnant des frissons glacés à Marie.

Plus le temps passait et plus l'ingénieure envisageait de partir. Elle avait cherché une carte des environs de la gare, voire des autres gares, en vain. La seule information qui l'empêchait de quitter cet endroit était qu'elle n'avait aucune idée de où aller. Bien sûr elle n'avait qu'à suivre les rails mais qui lui disait combien de temps ça prendrait ? Ou que les gares était réellement des endroits physiques ? Elle s'occupait bien d'âmes qui se téléportaient là grâce à un portail magique...

Dans ses pensées, Marie ne remarqua pas la dalle déchaussée et trébucha. Elle insulta la dalle pour l'affront qu'elle venait de lui causer. Son contrôle de soi avait presque été anéanti depuis ces quelques jours seule. Après tout, personne n'était là pour s'offusquer ou la reprendre. Son irritation pour les plus petites choses avait, à l'inverse, explosé. Elle insultait maintenant les dalles déchaussées, les conserves qui s'ouvraient mal, le soleil qui l'éblouissait, les âmes qui lui rentraient dedans...

Aujourd'hui, Marie avait décidé de réparer les rails. Elle était donc allée dans l'atelier chercher les pièces et les outils dont elle aurait besoin. À peine la porte ouverte, un relent de moisissure la prit à la gorge. Elle fronça le nez et entra.

Il lui fallut plusieurs tentatives pour allumer la lumière qui clignota, définitivement en fin de vie. Comme toute cette foutue gare. Une épaisse couche de poussière recouvrait toutes les surfaces. Elle qui pensait que son atelier était très poussiéreux, c'était en fait la propreté incarné devant ce spectacle. La poussière était tellement épaisse qu'elle formait presque un mur dans l'air.

Marie se couvrit le nez et la bouche de son t-shirt et fouilla rapidement pour trouver ce dont elle avait besoin. Elle ressortit de l'atelier en toussotant et s'époussetant.

Réparer les rails s'avéra plus compliqué que prévu tant ils étaient en mauvais état. Sans compter le fait que Virginia n'était pas là pour l'aider. Elle abandonna son poste peu avant le coucher de soleil et alla se coucher.

Les jours suivants, elle continua de réparer les rails jusqu'à tomber sur une portion plus coriace que le reste et elle lança sa clé de rage au loin. Elle traversa une âme translucide sans que cela ne la perturbe.

— Putain de gare !

Ce fut le déclic. Au diable l'inconnu, au diable cette gare qui ne voulait pas être sauvée, au diable les âmes dérangées. S'il y avait une chance qu'elle retrouve sa gare, elle la prendrait. Elle ne resterait pas un jour de plus ici.

Sa décision prise, elle retourna dans sa chambre pour faire ses affaires. Elle récupéra des vêtements chauds pas trop miteux, de la nourriture, des couvertures, des chaussures et fourra le tout dans un gros sac trouvé dans une armoire.

Elle estima son temps de trajet de plusieurs jours. Apres tout, ils n'avaient roulé que quelques heures.

Elle alla donc se coucher sur cette pensée, prête à affronter l'extérieur le lendemain.

Le Dernier arrêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant