Chapitre 11

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Le soleil se levait lorsque Marie se hissa sur le quai. Elle puisa dans ses dernières forces pour s'éloigner un peu du bord en se trainant à moitié. Sans plus réfléchir, elle se laissa tomber et ferma les yeux, heureuse de retrouver le sol de chez elle. Le soulagement fut tellement fort qu'il emporta toute l'adrénaline qui la tenait éveillée et un sommeil lourd l'emporta.

Elle ouvrit les yeux brusquement, la peur coulant dans ses veines. Des silhouettes étaient penchées au-dessus d'elle et elle cria, pensant être encore dans son cauchemar. Son cri fit fuir les âmes qui l'entouraient et elle comprit qu'elle était bel et bien chez elle. Un long soupire lui échappa - en même temps qu'une larme - alors qu'elle fermait les yeux pour se calmer, le corps tout tremblant. Elle se sentait si faible qu'elle avait encore terriblement envie de dormir.

À la place, elle se redressa. Tous les muscles de son corps protestèrent et elle grinça des dents sous la douleur. Une fois debout, la tête lui tourna et il lui fallut plusieurs longues secondes pour que le monde arrête de tanguer autour d'elle.

Son voyage avait été plus long que prévu. Elle pensait partir pour quelques jours et avait donc prit de la nourriture pour une petite semaine. Mais la vitesse du train avait été trompeuse. Elle avait arrêté de compter les jours après la première semaine. Le manque de nourriture lui avait également joué des tours mais elle avait continué.

Une bribe de son cauchemar lui revint. Ou plutôt une bribe de souvenir. Le paysage était désolé en dehors de la gare. Au travers des fenêtres du train, elle avait vu un paysage luxuriant, alternant entre champs, forêts et montagnes au loin. En réalité, elle avait vu à peine une touffe d'herbe. Elle avait eu l'impression de traverser l'enfer : une plaine à perte de vue, le chemin de fer la traversant de part en part – seul élément distinct dans ce désert monotone et interminable –, un soleil brulant la journée et une nuit sombre et froide le soir venu.

Marie passa ses doigts distraitement sur son avant bras. Des cloques s'étaient formées, remplacées ensuite par une peau brulée et insensible. Elle réalisa soudain l'état dans lequel elle était et l'idée d'une bonne douche chaude lui redonna de l'énergie. Monter les escaliers jusqu'à ses quartiers fut tout de même une épreuve.

La douleur de son voyage s'effaça peu à peu à mesure que l'eau coulait sur son corps. Sa peau la brûlait mais elle se sentait enfin propre. Ce n'est que bien après que l'eau soit redevenue limpide que Marie se décida à sortir. Ses yeux tombèrent sur le miroir et sur son corps nu.

Elle était méconnaissable. Sa peau - bien plus sombre maintenant - était si sèche qu'elle craquelait et pelait, ses cheveux châtains avaient perdu toute leur brillance, le regard qu'elle se renvoyait était éteint. Mais le plus choquant était sa silhouette. Elle n'avait jamais été très fine et avait toujours aimé ses petites rondeurs. À présent, les os de ses côtes se dessinaient sous sa peau, ses joues avaient fondu, ses bras s'étaient amincis, des ombres noires s'étendaient sous ses yeux. Seules ses jambes semblaient avoir été épargnées, sûrement grâce à sa longue marche.

Cette nouvelle apparence lui fit peur et elle s'empressa d'enfiler des vêtements confortables et un peu amples. Elle enroula également une serviette sur sa tête en attendant de sécher ses cheveux et alla dans la cuisine.

Sans réfléchir une seconde de plus, elle attrapa une boite de ravioli, la vida dans un bol et les fit réchauffer au micro-ondes. Elle se força ensuite à les manger lentement, en prenant le temps de bien mâcher. Il ne manquait plus qu'elle tombe malade à vouloir manger trop vite après ce jeûne forcé.

Ses pensées dérivèrent alors qu'elle mangeait machinalement son repas. La vision du train emportant ses amis au loin lui revint et un sentiment de désespoir la rattrapa. Son coeur se serra et elle espéra qu'ils étaient arrivés sains et saufs dans l'Après.


***


Elle essuya son front, s'appuyant sur son balais. Tout nettoyer avait été bien plus long qu'elle ne l'avait espéré. Elle se sentait tellement faible.

Après son premier repas ici, elle était retournée dormir pour plusieurs heures. Son lit ne lui avait jamais paru aussi agréable après toutes ces nuits à dormir sur le sol dur. Elle avait récupéré de l'énergie mais elle s'épuisait bien plus vite qu'avant.

Marie s'accorda une pause sur un banc et regarda les nuages qui avançaient paresseusement dans le ciel bleu. Les rayons du soleil caressaient sa peau et elle ferma les yeux pour en profiter.

Un nuage atténua la luminosité du soleil sur ses paupières. L'état de la gare la frappa quand elle rouvrit les yeux. Outre la poussière et les petits débris qu'elle avait mis la journée à balayer, les murs étaient sales, parfois couverts de mousse, des araignées avaient tissé leurs toiles dans les recoins et de la rouille s'étalait sur les rampes et autres éléments en fer.

Au vu de l'état de la gare, elle avait l'impression d'être partie plusieurs mois alors que ça ne faisait que deux semaines – trois au maximum – qu'elle avait prit le train.

Une pulsation lumineuse attira son attention : des âmes venaient de traverser le portail. Marie posa son balais contre le mur en se promettant de le ranger plus tard.

En avançant vers le portail, elle s'attacha les cheveux. Le nettoyage était terminé, il était temps de reprendre son vrai travail.

Le Dernier arrêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant