Chair - Poème de la possédée

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Et une nuit, possédée, j’ai attendu
Que s’estompe la froideur de ma chair.
Déjà, le soir était loin, l’aube ne venait pas, et moi j’attendais,
J’attendais les yeux ouverts.
(Plus tard la lune a posé sur ma peau sa chaleur bénie,
Ou était-ce plus tôt ?
Il y a longtemps que ces souvenirs-là se sont mélangés.)
J’entendais, comme un écho lointain, les cris brouillés des cauchemars ;
Et mes lèvres restaient scellées tant celui qui montait en moi était terrible,
Tant il aurait déchiré les ombres de son horreur sombre.
Je voyais, comme à travers mes paupières, l’image du rêve étrange,
Imprimée en blanc sur le noir de la chambre. J’ai cru au sommeil, au délire, à la bribe du songe qui s’attarde,
J’ai attendu les yeux ouverts comme s’ils avaient été fermés.
J’ai attendu que s’en aille le spectre silencieux au pied de mon lit.
J’ai jeté sur lui un voile qu’il a écarté
De ses doigts minces de monstre sinistre. Il s’est glissé.
Les doigts ont rampé sur ma peau,
L’ont glacée,
Comme l’hiver s’abat sur la rose condamnée.
(Plus tard ou plus tôt la lune m’a effleurée,
De ce même toucher qui remonte impudique ;
Qui caresse, qui s’approprie, de bas en haut jusqu’au cœur,
Et plus haut encore, le long du cou comme un baiser,
Jusqu’aux lèvres enfin qu’il frôle comme l’amant.)
Il les a ouvertes, soudain, indélicat,
Elles que j’avais si bien scellées. Dans ma gorge, le froid a croisé le cri, l’a étouffé, l’a dépassé.
Le spectre tout entier dans chaque recoin de mon corps – je l’ai senti comme on sent venir la mort, comme on la sent flétrir les quelques fleurs qu’il restait encore, comme on la sent geler les pétales incolores ;
Et toute la nuit, possédée, j’ai attendu
Que s’estompe la froideur de ma chair.

Novembre 2022 - Minuit

A la lune insomniaque - Textes échouésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant