Et nous t'avons attendu, toi et tes yeux bleus trop clairs, dans le silence sec de nos rêves. Déjà les rives noires du lac se refusaient à nous, mais nous ne savions pas encore à quel point elles nous manqueraient. Nous ne voulions que tes yeux, et toi seul nous manquait.
Dehors, la nuit était noire, la lune trop pâle,
Nos larmes avaient le goût amer de l'espoir.
L'un après l'autre, nous avons recouvert tous les miroirs, nous avons brisé toutes nos réalités, aboli toutes nos frontières. Les murs se sont mis à trembler,
Nous avons fait de nos vies un cocon d'illusions pour t'accueillir tout entier,
Nous t'avons attendu comme on attend un fantôme. Prostrées au pied de ta tombe tremblante, blotties toutes ensemble dans notre chair insipide, nous avons tenté de te rêver (de toutes nos forces nous avons sombré),
Et soudain, nous t'avons vu. Nous avons vu tes yeux (ils étaient gris), nous avons vu ton sourire (il était flétri) ; ce soir-là, nos illusions ont tremblé comme tremblent les murs (et la lune au-dehors avait presque la pâleur du passé, mais ta voix avait les accents d'un présent qui n'a jamais existé), et ton sang, ton sang ! ton sang était rouge comme le sont tous les sangs. Toutes les deux (toutes les trois, toutes les quatre, toutes les cinq), nous savions qu'il aurait dû être blanc, mais ton sang était rouge et le nôtre aussi.
Nos larmes ont eu le goût âcre de l'oubli.
Nous sommes retournées nous prostrer au pied de ta tombe (et qu'importe si tu n'en sors pas ?), avec nos blessures brunes insipides, avec notre cœur millénaire et notre œil d'enfant, avec notre sang rouge et notre cocon doucereux ; puisque tu n'es qu'un songe, qu'une bribe du passé, puisque même nos rêves te font tremblants, puisque tu es si flou, puisque tu es fantôme, puisque ton sang n'a pas coulé blanc sur la neige blanche, puisque ton nom ne s'est pas écrit en lettres d'hiver, puisque notre vie t'a fait spectre, puisque tu nous tourmentes de ta mort qui n'a jamais eu lieu, puisque tu n'es qu'un rien et que nous sommes néant, peux-tu nous dire qui tu es (dis-moi, peux-tu me dire qui tu es ?), peux-tu mentir pour nous (dis-moi, quelle est ta vérité ?), peux-tu, dis-nous, peux-tu ?
Le jour nous brûlera, la nuit nous étouffera ; et les portes de l'entre-deux toujours restent closes (est-ce toi qui en as la clé, toi qui n'existes pas ?),
Il faut du sang blanc pour ouvrir la porte du blanc.
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A la lune insomniaque - Textes échoués
PoesíaLes Hommes brûlent, la lune observe, et les mots oubliés s'échouent en fragments. (Ici on se défoule et on se relit pas trop)