Lorsque j'ai vu le saule pour la dernière fois, la nuit était blanche. Une longue brume immaculée l'avait recouverte comme un voile, et les flocons tombaient entre la terre et les astres. Il n'y avait plus de lune, dévorée par le blanc. Il n'y avait que cet écran d'Hiver au-dessus du monde.
Par-dessus lui, le saule. Il se détachait avec une netteté que je n'ai plus vue après lui. Après lui, mes silhouettes sont devenues floues, mon monde a perdu toute sa consistance, il s'est mis à vaciller comme un rêve dans lequel on est empêtré. Je voudrais dire qu'il est devenu un cauchemar. Ce ne serait pas vrai. Il faut comprendre. Il faut comprendre. Le rêve parfois peut être aussi insoutenable que le cauchemar. Il s'étire comme un long lambeau de brume, comme cette nuit d'entre-deux blanc où le temps semblait avoir disparu.
J'ai prié ce soir-là pour que l'aube ne vienne jamais. La nuit est le temps des fantômes, et mon saule déjà était presque un fantôme. Il se dressait comme un spectre dans l'absence d'obscurité, face à moi, sans bouger, souriant doucement. Le vent le faisait osciller, mais c'était une oscillation tranquille, bien différente du balancement anarchique de la réalité qui me harcèle sans trêve. Il faut comprendre. Seul mon saule comprendrait, je crois.
Je lui ai parlé toute la nuit. De temps en temps, il hochait la tête, il murmurait quelque chose, mais mon saule a toujours préféré écouter. Parfois, je lui parle encore, mais je crois bien qu'il ne peut plus m'entendre. Il y avait sa présence, autrefois, que je sentais tout près de moi comme s'il était une partie de mon propre esprit, comme si nous étions un, et maintenant il n'y a plus qu'un grand vide, rien qu'un grand vide blanc comme l'Hiver ; de la brume partout tout autour de moi et même en moi, et sous la brume le néant. Je pense que je ne retrouverai jamais mon saule et la place qu'il occupait dans mon esprit. Je l'ai vu dans ses yeux clairs lorsque nous attendions l'aube : il savait déjà tout cela, mais il ne m'a rien dit. Il a préféré se taire, comme à son habitude. Parfois, je lui en veux.
Autour de nous, le temps s'est étiré jusqu'à disparaître. Nous nous sommes pris à croire que l'aube ne viendrait jamais. Après tout, nous avions prié si fort !
Mais le jour soudain a emporté le blanc. Le soleil a fait irruption dans le voile des brumes, a fait fondre la neige, a dissipé notre attente blanche. Nous nous sommes regardés – ses yeux clairs dans mes yeux noirs, et le blanc autour de nous qui se parait de toutes les couleurs du monde. Je crois qu'il m'a tenu les mains. Je n'en suis pas sûre. Après tout, ce n'était qu'un saule.
Un sourire a étiré ses lèvres, un sourire pâle comme la nuit, triste comme le jour. Il a versé une larme, une seule, rien qu'un flocon sur sa joue blême.
Je n'ai rien fait lorsqu'ils ont coupé mon saule. Ils l'ont abattu dans la lumière trop rude du matin, sous le regard implacable du soleil ; ils ont brisé ses branches, débité son tronc, et puis il s'est allongé dans un bruit mat de souffrance. Je n'ai plus aucun souvenir, ensuite. Je crois bien qu'ils l'ont brûlé pour se protéger de l'Hiver.
Je n'ai rien fait. Moi-même j'étais déjà un peu fantôme. Je pensais que nous serions fantômes ensemble. Il faut comprendre.
Mais je n'ai jamais, jamais revu son esprit. Mon saule a disparu. Mon saule a disparu.
Et j'attends, j'attends la nuit blanche,
La nuit sans fin de l'entre-deux brumeux,
La nuit des fantômes,
Que revienne mon saule.
VOUS LISEZ
A la lune insomniaque - Textes échoués
PoetryLes Hommes brûlent, la lune observe, et les mots oubliés s'échouent en fragments. (Ici on se défoule et on se relit pas trop)