A flots

70 10 0
                                    


     La nuit était tombée sur le pont et seule Chrissy était restée dehors, n'ayant pas bougé de son mat depuis l'instant où elle s'y était retrouvé attachée par ces bougres de pirates. Les fieffés avaient eu l'audace de l'abandonner ici pour aller se gaver d'alcool ainsi que de musique dont la Comtesse ignorait la provenance, la condamnant à se retrouver face à elle-même dans le début du froid du soir. Les bras de la jeune fille la tiraillaient et elle avait beau se débattre depuis des heures les cordes refusaient tout simplement de glisser de sa peau pour l'en libérer. Christine s'était tant épuisée à tirer sur ses liens qu'elle avait fini par abandonner ses efforts pour se reposer, réfléchissant à une autre solution pour se sortir de là.
     En attendant qu'une épiphanie ne s'empare de son esprit, Chrissy profita du son des vagues autour d'elle tout en appréciant le reflet des étoiles dans la surface de l'eau, rendant sa captivité moins pénible que lorsqu'elle s'était retrouvée dans sa calèche en direction de son mariage. D'ailleurs, elle avait échappée à cette union indésirée certes, mais à quel prix? N'aurait-elle finalement pas préféré rester auprès de Carver son époux plutôt que de se retrouver à la merci d'une bande de pirates sans manières ni scrupules? Elle ne savait pas lequel de ces deux sorts aurait été le moins pénible à subir, mais de toutes façons le destin avait choisi pour elle. Comme toujours. Comme toujours elle n'était pas Maîtresse de ses choix, la vie lui imposait péniblement ses plans sans qu'elle ne puisse rien y faire. Elle l'avait fait de nombreuses fois par le passé, brisant un à un ses espoirs pour un avenir radieux jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun.
     A cette pensée, le cœur de Chrissy se gonfla de nostalgie et l'irrémédiable envie de toucher son oreille la démangea, se rappelant juste ensuite que son précieux trésor ne siégeait plus confortablement lové entre ses seins. Son collier qui représentait tant pour elle se trouvait désormais autour du cou de ce maudit Freak, la jeune fille rêvant maintenant de lui arracher pour qu'il retrouve sa place dans sa gorge là où il appartenait. Ce corsaire véreux n'avait pas la moindre idée de ce qu'il lui avait retiré, et elle trouverait un jour le moyen de le récupérer.
     Alors qu'elle allait se remettre à tirer sur les cordes, la Comtesse entendit des pas se rapprocher d'elle avec lourdeur, lui glaçant le sang. Tout de suite elle s'était imaginé que l'un de ces monstres venait lui rendre une petite visite pour mentir sur les belles promesses de son Capitaine, ou même sans ça juste s'amuser à lui faire du mal pour le plaisir. Chrissy se représentait tous ces hommes comme des bêtes sans cœur et dont la volonté première était de rependre la douleur et le chaos autour d'eux. Alors la jeune femme ferma les yeux, retenant sa respiration en attendant son châtiment pour avoir osé demandé à Dieu de la sauver de ses devoirs.

     - Ça s'est rafraîchis dehors on dirait.

     Allant à l'encontre de la barbarie à laquelle Chrissy s'attendait, une voix calme et rassurante l'avait interpellée. Alors tout doucement elle releva les paupières, apercevant Freak se tenant debout devant elle, la regardant de haut. La jeune fille cligna plusieurs fois des yeux, admirant cette posture qui le rendait tout aussi svelte qu'impressionnant. L'homme était grand, sa chemise un peu large était serrée fermement autour de sa taille par un drapé rouge qui la marquait, et de grandes bottes en cuir couvraient jusqu'à son genou le tissus noir bouffant qui lui servait de pantalon. Le garçon avait retiré sa grande coiffe plumée, dévoilant sous elle un foulard pourpre qui enserrait le dessus de sa tête. Ses cheveux étaient longs. C'était la première fois de sa vie que Christine voyait un garçon avec des cheveux longs. Le jeune homme était beau et paraissait drôlement propre pour un pirate à la petite vie misérable.
     Freak s'agenouilla au niveau de Chrissy, cherchant dans les nombreuses bourses et autres rangements ornant sa ceinture l'objet de sa convoitise, celui-ci s'avérant être un petit poignard au manche taillé à la main. La Comtesse se sentit prise de panique, essayant de s'écarter en vain de l'arme que le garçon pointait en sa direction. Et alors qu'il lui saisit le bras pour l'empêcher de bouger, Christine referma ses yeux en poussant un cri, s'attendant à perdre son bras. 
     Mais au lieu de sentir sa chair se faire découper, elle eut au contraire l'impression que toute la pression se relâchait autour d'elle et qu'elle pouvait enfin se mouvoir sans peine. Chrissy regarda donc les agissements du Capitaine, mue par le curiosité plus que par la peur désormais, découvrant ses gestes sûrs qui découpaient une à une les cordes qui maintenaient la Comtesse prisonnière. Lorsque la dernière fût sectionnée, il rangea la lame dans sa petite pochette alors que la demoiselle commença à frotter ses poignets pour en chasser les fourmis qui la dérangeaient. Elle demanda.

Passion des OcéansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant