Chapitre 1

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Tassé dans un coin de cage, le garçon serre ses jambes maigrelettes entre ses bras tout aussi peu épais.

Cela fait un moment qu'il n'a plus qu'à peine conscience des voix qui l'entourent et qui l'oppressent au moins autant que les fers qui enserrent ses chevilles et ses poignets. Pour dire : ceux-ci auraient presque pu lui couper le sang, s'il avait eu davantage de chair sur les os...

En revanche, son camarade de détention, un Démon, lui, est bien moins amorphe et passif : il ne cesse de s'acharner sur les barreaux, en jurant dans son jargon de primitif !

L'un des gardes finit par en avoir marre et s'approche. Armé d'une baguette en bois, il fouette les doigts du perturbateur !

« Toi la fermer ! Espèce de chiure de bouillasse ! »

Là-dessus, il rejoint ses collègues, des Halfelins comme lui, avec lesquels il reprend leur activité préférée : mâchonner des graines de Sanguier dans le dos de leur chef.

Au moins, avec cette drogue dans le sang, ils frappent moins fort...

Le Démon masse ses doigts griffus en marmonnant des propos peu élogieux sur la taille des parties génitales de leurs gardiens. Alors que du côté de la scène, résonne la voix puissante du commentateur des ventes.

« ...et nous remercions notre généreux acheteur ! Passons à présent à notre dernier produit de ce lot, pendant que nous préparons le suivant ! On commence les enchères à trois cent soixante couronnes pour cette ravissante Naine ! Admirez ces hanches larges et sa bouille ronde... ! »

Un martèlement des sabots rapide se fait entendre en parallèle, alors que le chef des marchands d'esclaves fait son apparition dans un nuage de poussière.

« Bougez-vous, tas de fainéants ! Vous n'avez pas écouté l'autre braillard ? Sortez-moi les derniers de leurs cages et que ça saute ! » Gueule le Centaure à peine arrivé, manquant de piétiner l'un de ses esclavagistes.

Les Halfelins obéissent aussi sec, bafouillant des excuses.

Le garçon est ainsi tiré hors de sa léthargie sans ménagement, et mis en rang avec ses camarades d'infortunes, avant d'être pressé vers le rideau de la scène, sur laquelle ils montent à la file.

Les acheteurs se bousculent à leurs pieds, jouant des coudes pour les détailler et pouvoir juger de leur qualité avant leurs voisins.

Le brouhaha est insupportable...

Le présentateur, un Elfe en pourpoint safran, courbe sa longue échine pour saisir la voisine du garçon, une Elfe minuscule aux cheveux couleur radis, qu'il pousse en avant.

« Nous commençons par une jeune bourgeonne, comme vous pouvez le constater. Deux cent vingt couronnes comme prix de départ ! Elle est jeune, mais elle est initiée aux arcanes de la cuisine par les nomades du désert Derma ! Attention : je déconseille aux papilles sensibles ! Ça pique ! Ahah ! »

Les enchères sont rapides, peu sont ceux à être intéressé.

« ...Et c'est donc la jolie matrone rousse qui part avec la p'tite cuistote, pour deux cent quatre-vingts ! Vous ne le regretterez pas ! »

La pauvre est évacuée en vitesse pour rejoindre sa nouvelle maîtresse, tandis que le présentateur se saisit à présent du garçon, qu'il tire à son tour en avant.

« Poursuivons ! Un jeune humain aux portes de l'adolescence ! Ne vous arrêtez pas à sa petite taille, voyez plutôt sa peau douce... et régalez-vous de l'adorable minois qu'il cache sous sa tignasse ! ...Très soyeuse, s'il en est, d'ailleurs ! »

Il pose un genou à terre pour saisir avec ses doigts trop longs la mâchoire de l'esclave, le forçant à lever la tête vers la foule.

Le garçon est obligé d'affronter les regards bigarrés des acheteurs, certains indifférents, d'autres attentifs, quelques-uns intéressés... et même une poignée indiscrètement lubrique !

« Je vous propose une base de deux cent trente couronnes ! »

Des propositions fusent, gonflant le prix, le présentateur les énonçant à voix haute tout en pointant les enchérisseurs de ses doigts à quatre articulations.

« ...Deux cent quarante-cinq pour la dame en vert ! ...Deux cent soixante pour le Nain au premier rang ! Je vois le connaisseur. Deux cent soixante-dix pour la Naine avec le chapeau à plume ! Hein, quoi ? Deux cents qu... Trois cents pour le duo d'Orc là-bas ! Olala... Personne d'autre ? Ah, trois cent dix pour le Nain de devant ! ...Une fois ? Deux f... Trois cent trente pour les Orcs ! Une fois ? Deux fois ? ...Vendu ! »

Le garçon, à moitié assourdi par les cris, n'a qu'à peine conscience des Halfelins qui le traînent hors de la scène et le trimballe sur le côté de la foule, où ils le lâchent devant deux hautes silhouettes en robe...

Une énorme main le saisit par le bras, mais sans violence, l'empêchant de s'effondrer dans la terre.

« Doucement, mon enfant. Rassure-toi, tu n'as aucune crainte à avoir : mon ami ne t'a pas acheté pour te faire subir quelques sévices... Dis-moi, as-tu un nom ? » Lui souffle une voix profonde et calme.

Le garçon ouvre la bouche, mais il n'a pas la force de parler, alors il se contente de secouer la tête.

« Dans ce cas, je me chargerais de t'en trouver un. » Annonce une autre voix, grave et lente, pour sa part.

Des bras puissants le soulèvent du sol, soulageant ses pauvres jambes.

« Mais d'abord, nous allons rentrer dans nos quartiers. Repose-toi. Tu le peux. » Ajoute la première voix, appartenant à celui qui le porte.

Le garçon cède au sommeil aussitôt, se sentant inexplicablement en sécurité entre ces bras. Une sensation qu'il n'avait plus connue depuis longtemps...

MarquésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant