Chapitre 2

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Izuku se réveille dans son lit, l'esprit encore partiellement englué par le sommeil... il a rêvé du jour où le professeur Gowther l'a acheté, en compagnie du frère Ustra.

Le jour où, les dieux en sont remerciés, il a échappé à son destin d'esclave.

Rendu joyeux par ce souvenir, le garçon saute prestement hors de son lit et s'empresse d'enfiler sa tunique et ses chausses avant de filer par l'escalier qui mène à l'atelier de son maître, descendant les marches quatre à quatre.

La pièce est vaste, comme toutes celles allouées aux membres importants des Ordres, mais pourtant elle paraît petite et étroite quand on y pénètre... En effet, l'endroit est surchargé par des étagères gavées à l'excès, de tables encombrées, d'ustensiles aussi hétéroclites qu'hétérogènes, de piles de livres sortis de leurs bibliothèques, de feuilles de notes coincées sous des objets ou reliques aux origines diverses, et de pléthore de fioles, alambiques et autres récipients !

Habitué, le garçon se fraie un chemin à travers ce labyrinthe d'érudit, se saisissant au passage d'une assiette de nourritures intacte tanguant sur un bord de bureau, et rejoint le propriétaire des lieux, qui est occupé à inspecter une tasse antique entre ses épais doigts noueux.

L'Orc dresse l'oreille à son arrivée, pose l'objet religieusement devant lui, puis se tourne vers son domestique.

« Ah, Izuku... Tu aurais pu dormir un peu plus, tu sais ? Je t'ai dit hier que je n'allais pas avoir besoin de toi avant dix heures. »

L'intéressé présente en réponse l'assiette, souriant ironiquement.

« Et vous laissez oublier, encore, votre petit-déjeuner ? »

Gowther dévoile ses grosses dents dans un sourire mi-contrit mi-amusé.

Il tend la main, entre les doigts de laquelle le garçon glisse l'assiette.

« Merci. Que ferais-je sans toi ? »

« Vous seriez plus maigre, déjà. »

« Mon travail avancerait moins vite, surtout. »

Le jeune humain hausse les épaules.

« Je ne fais que vous servir d'assistant, de copiste et je porte comme je peux votre matériel. Il n'y a rien de bien sorcier non plus. »

« Parce que tu en connais beaucoup, toi, des domestiques aussi instruits ? Et qui étaient des esclaves illettrés à la base ? C'est grâce à toi que je peux rendre mes rapports de travaux dans les temps. Ne te dévalorise pas. »

Sur cette tirade narquoise, le vieil Orc se saisit de la cuisse de cocatrix présente dans son assiette, dans laquelle il mord, défiant Izuku de répondre.

« ...D'accord. Un point pour vous, maître. »

Le scientifique ricane la bouche pleine, satisfait d'avoir eu le dernier mot.

L'érudit achève son petit-déjeuner, puis retourne aussitôt à l'inspection de sa relique, qu'il fait méticuleusement tourner entre ses doigts, en palpant les moindres reliefs ou aspérités.

À côté de lui, Izuku l'observe faire en silence, toujours aussi fasciné par la manière dont son maître peut étudier un objet... sans le voir.

En effet, les yeux aveugles de l'Orc sont uniformément blancs et incapables de distinguer le monde qui se présente à eux.

Ils ne l'ont ni l'un ni l'autre évoqué quand ils listaient les utilités du garçon, mais c'est bien là sa principale mission en réalité : être les yeux de l'érudit lors de ses déplacements hors de son atelier.

Après encore une bonne heure de travail pour le professeur, quelque part dans les entrailles de la forteresse Orc, une grosse horloge sonne dix coups.

« Ta journée va pouvoir officiellement commencer, mon garçon. » Commente aussitôt Gowther, ce qui fait se précipiter à ses côtés Izuku.

« Nous sortons. Va me chercher mon manteau, je te prie. »

Le garçon s'exécute et un instant plus tard, ils traversent les couloirs en direction de la porte principale, la grande main de l'aveugle naturellement posée sur l'épaule de son domestique.

« Où allons-nous ? » questionne ce dernier.

« Je sais que cela ne va pas te plaire beaucoup, et je m'en excuse d'avance, mais nous allons nous rendre dans le quartier marchand... »

« Pourquoi cela me déplairait-il ? Au contraire, j'adore cet endroit ! On y trouve de tout... »

« Tu ne m'as pas laissé finir, petit impatient ! » le coupe gentiment son maître, « Non... nous allons dans la partie réservée aux marchands d'esclaves. Je veux y trouver un deuxième domestique. Un qui aura des bras pour porter mes affaires, lors de mes déplacements. Un ami m'a dit qu'ils avaient peut-être un arrivage susceptible de m'intéresser... »

Luttant contre l'envie de ralentir, ou même de tourner les talons, le jeune humain avale difficilement sa salive.

Quand bien même il sait qu'il ne risque rien, il peut s'empêcher de ressentir une certaine angoisse à l'idée de remettre les pieds là-bas...

Il se souviendra toujours de la peur, de la faim, de la douleur...

Encore aujourd'hui, il ne peut pas voir un Centaure, même de loin, sans avoir une légère boule au ventre, et a tendance à conserver un œil prudent sur tous les Halfelins qu'ils lui sont donnés de croiser !

Il n'y a bien qu'aux Elfes qu'il a fini par se réhabituer, en rencontrant souvent dans la cour de la forteresse et parfois même dans les couloirs, en de plus rares occasions.

La main ferme de l'érudit posée sur son épaule lui fait l'effet d'une ancre salutaire.

Izuku respire un bon coup, puis annonce enfin d'une voix se voulant sûre : « Allons-y, maître. »

Une pression approbatrice et réconfortante lui répond.

MarquésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant