La dernière carte du jeu (Chishiya)

1. Neuf de carreau

Aguni était peut-être plus fort qu'un boeuf, mais face à l'exercice intellectuel, il devenait aussi performant qu'une moule des profondeurs. Autrement dit : sans lui, l'équipe aurait probablement gagné la moitié plus de temps, et épargné les deux membres de la Plage décédés lors du jeu.

- Par les doux cieux, Aiko, t'as géré, assura une fille à la queue de cheval, alors qu'ils sortaient tous du bâtiment. Neuf de carreau put.ain. Il fallait le faire.

- Ouais, rétorquà un homme à la langue habillée d'un piercing. Aguni va te faire la peau quand vous reviendrez à la plage, vu comment tu l'as défoncé quand il a fauté.

- La ferme, Niragi. Aiko a eu raison de le rabrouer, si on l'avait écouté on serait tous morts là-bas.

Aiko leva la tête. Neuf de carreau...c'était une belle carte. Très belle, même : le Chapelier allait en raffoler. Ce neuf, il le convoitait comme un fiancé convoite la bague. Et c'était elle, Cheon Aiko de Tokyo qui allait la lui amener.

Elle avait le droit d'être fière.

- Merci Kuina, fit-elle en direction de la fille à la queue de cheval.

Son amie haussa les sourcils.

- C'est la vérité ! Ce neuf va te permettre d'entrer dans le conseil, tu le sais ça ? Le Chapelier en parlait déjà au vu de tes exploits aux jeux de cœur et de carreau. Avec celui-là, tu as gagné ton ticket VIP à coup sûr !

Elle disait vrai : Aiko avait contribué à de nombreuses victoires de la Plage, ce qui avait amené les hauts placés du lieu à réfléchir à son rang parmi eux, mais aucun de ces jeux ne valait le neuf de carreau qu'elle avait remporté à l'aide de son équipe. La jeune femme avait eu de la chance, le jeu était dans ses cordes : il demandait des compétences en logique mathématique et un peu d'intuition, ce qui seyait parfaitement à la joueuse qu'elle était.

- Tu crois qu'ils vont vouloir que je rejoigne le conseil ? demanda-t-elle à Kuina, alors qu'ils atteignaient la Plage.

- Pourquoi ? lui répondit-on. Tu n'en as pas envie ?

Aiko balaya la foule du regard alors que celle-ci courait vers les joueurs pour les accueillir.

- Pas vraiment, non, fit-elle. En fait ce sont surtout leurs membres qui me rendent amère. Aguni en premier lieu.

Le colosse et la stratège ne s'entendaient en effet pas très bien : sans qu'aucune haine ne s'installe entre eux cependant, ils étaient incapables de se mettre d'accord lors des jeux ni même de discuter sans se disputer.

- Et Niragi, évidemment : je crois qu'il pense que je suis faible, comme je ne me débrouille pas du tout dans les jeux de pique, alors il en profite pour me faire tiquer.

- Et Kuzuryu ? Vous vous ressemblez, je trouve.

Aiko fronça les sourcils.

- Pas du tout. Kuzuryu est une sorte de robot vicieux et indigne de confiance.

Kuina laissa échapper un rire.

- Tu ne le connais même pas ! Et il y a d'autres membres exécutifs, je t'assure.

Aiko s'apprêta à lui répliquer quelque chose lorsque des hommes et des femmes de la Plage accoururent.

- C'est vrai ce qu'on dit ? Que t'as mené l'équipe pour gagner un neuf de carreau ?

- Choka et Takado sont morts ?

- Félicitations pour le jeu ! Tu vas grimper c'est sûr.

- Aiko, le Chapelier te cherche.

- Oui, et il veut s'exprimer, s'éleva une voix bien connue.

Les quelques personnes s'écartèrent pour laisser passer un grand homme aux lunettes de soleil noires et au large sourire. Il portait un chapeau sur la tête et tenait une coupe de cocktail à la main droite.

- Bravo, articula-t-il. Il faut dire que je suis vraiment fier de toi. Les carreaux ne sont pas les plus simples, il faut se torturer les méninges, et sincèrement je pensais que ce seraient Kuzuryu ou Mira qui m'amèneraient le neuf. Ils voulaient le tenter.

Aiko le remercia de quelques mots et un hochement de tête.

- Dis-moi, continua le numéro un de la Plage. Ça te dirait de rejoindre le conseil ? Ça fait un moment que j'y pense. Tu es douée, investie et tu apportes pas mal de bonnes choses pour cette utopie. Je te voudrais bien parmi les membres exécutifs. Qu'est-ce que tu en dis ?

La jeune femme ne fit même pas mine d'être surprise : voilà, c'était le moment de choisir. Elle prit un temps pour la réflexion.

- Je suis certain que tu t'y plairais, insista-t-il en voyant son hésitation. J'organise une réunion dans quelques minutes pour qu'on puisse faire le point sur les cartes. Ce serait l'occasion de te présenter. Parmi eux il y a celui qui a apporté le dix de carreau, vous pourriez sympathiser.

Aiko garda une expression impassible. Il était vrai qu'elle ne se sentait pas à l'aise à faire partie du conseil, cependant ce n'était pas comme si elle avait le choix. Et puis, rejoindre ce cercle privé apportait de nombreux avantages.

- J'accepte, répondit-elle simplement.

- Parfait ! Viens avec moi, nous allons nous réunir.