La dernière carte du jeu (Chishiya)

3. Pique

Le Chapelier organisait de nombreuses réunions du conseil. Souvent pour presque rien.

- Il n'y en avait pas autant auparavant, lui précisait Chishiya. Il devient de plus en plus préoccupé par les règles de la Plage.

Aiko y assistait sans grande participation, se mettant en position d'observatrice.  La plupart du temps, Niragi s'opposait aux paroles du président du conseil. Aguni l'encourageait ensuite, ou nuançait son propos, quoiqu'il advienne les activistes le suivaient. Généralement la femme au carré lisse, Ann se bornait à défendre son Chapelier quoiqu'il arrive, de même que sa voisine Mira. Aiko ne leur avait jamais adressé la parole, mais pour des raisons différentes, elle éprouvait envers les deux femmes ce qui pouvait s'apparenter à de la crainte.

Il y avait fort à parier qu'elles jouaient les avocates du Chapelier.

Kuzuruyu quant à lui restait assez silencieux, éjectant de temps à autre quelque hasardeuse vérité tout droit sortie de nulle part. Cependant il prenait garde à ne jamais contredire tout à fait son chef, ou employait des tournures de phrases qui lui laissaient un libre arbitre total. Aiko le trouvait ridicule. Il n'y avait pas plus faible que cet homme qui se pensait intelligent.

La plupart du temps, elle restait avec Chishiya. Contrairement à ce qu'elle pensait avant d'en faire partie, le Chapelier ne tenait pas à ce que son conseil soit parfait et demeure silencieux et à l'écoute de chacun. Aussi, les bavardages étaient assez fréquents entre deux membres alliés, lorsque la conversation tournait en rond.

Le blond lui révélait des informations de base à propos des membres exécutifs.

- Mira et Kuzuruyu sont très secrets, disait-il. On ne sait jamais combien de jours il reste sur leur visa. Ann quant à elle est une véritable machine pendant les jeux. Elle réussit aussi bien les carreau que les pique, et n'est pas atteinte par les épreuves émotionnelle des cœur. Mais ce qu'elle aime, c'est le jeu dans le jeu, tester son équipe avant d'approuver une décision ou de livrer la solution. Ce qui fait d'elle une personne dangereuse dans les jeux de trèfle.

- Et toi ? répondait Aiko d'un ton neutre. C'est quoi ton point faible dans les jeux ?

Elle lui avait posé la question plusieurs fois. Chishiya lui répondait par un demi-sourire.

La jeune femme et lui ne se voyaient pas en dehors des réunions. Elle restait avec Kuyna la plupart du temps, et lui partait vaquer on ne sait où. La vie à la Plage se poursuivait de la même manière, bien qu'elle pût désormais profiter des avantages que lui offraient un rang plus élevé : changement de chambre, immunité totale contre les activistes ou tout autre membre de la communauté.

Aiko détestait les jeux. Elle craignait plus que tout ceux qui exploitaient ses faiblesses et la mort pesait à chaque début de partie. Le neuvième jour ne tarda cependant pas à arriver. Il lui fallait recharger son visa, et partir dans une arène mortelle.

Lorsque le gong retentit, la jeune femme se dirigea avec les autres dans une voiture au hasard, direction le centre de Tokyo. Elle s'était préparée comme elle le pouvait, ayant dormi suffisamment la veille, et mangé à sa faim. Durant le trajet elle tenta d'anticiper à quel genre de jeu elle pourrait être confrontée, se remémorant les cartes restantes, le dos bien droit et le genou tremblant.

- On pourrait tomber sur le sept de cœur, s'exprima une femme à côté d'elle, s'adressant à toute la voiture. À ce que j'ai vu, il n'est pas encore sorti.

- Il n'est pas bon de faire de conclusions hâtives. Attendons l'annonce des règles et voyons ensuite.

Aiko se tourna vivement vers la voix reconnaissable qui venait de se prononcer. Sur le siège derrière elle, un homme aux cheveux blonds et au sweat blanc, l'air nonchalant et le regard observateur.

La jeune femme fronça les sourcils.

- Shuntaro Chishiya.

- On se retrouve, joueuse d'échecs, la salua-t-il en un demi-sourire.

Aiko se retourna pour regarder droit devant elle, et pourtant ne put s'empêcher de ressentir une once de soulagement. Elle avait un bon joueur avec elle. Elle n'allait peut-être pas mourir ce soir, surtout si le jeu proposait du carreau.

Ils descendirent en bas d'un immeuble et elle suivit le groupe à l'intérieur, dépassant les lasers qui indiquaient un point de non retour. D'autres participants étaient là, l'œil hagard et attendaient le début du jeu. Aiko prit un téléphone sur la table au bout de la salle et sentit une présence derrière elle alors qu'elle se plaçait au fond, loin du centre.

- On est beaucoup cette fois, fit le blond alors qu'elle regardait les joueurs. Je me demande quelles seront les règles...

- Début du jeu, annonça une voix automatique. Difficulté : cinq de pique.

Aiko se figea. ''pique''. Les performances physiques. ''cinq de pique''. Le cinq était tout de même un niveau élevé. Il demanderait une grande mobilisation de ses capacités. ''C'est du pique'', répéta-t-elle. Elle avait pour son premier jeu participé au deux de pique, et s'en était sortie de justesse. Un cinq ne lui garantissait aucune chance de survie. ''Je suis morte'' se dit-elle. ''ça y est. Je suis décédée. C'est fini pour moi''.

Elle sentit la pression monter dans sa poitrine et s'apprêta à s'asseoir pour reprendre son souffle lorsque quelqu'un la tira par le bras.

- Allez, cours, lui ordonna Chishiya en l'entraînant dans un des couloirs. La Chose ne va pas tarder à arriver.

Aiko jeta un oeil sur son téléphone et s'aperçut que le jeu avait commencé.

- La Chose ?

- Tu n'as pas écouté ?

Ils bifurquèrent à droite et le blond la dirigea vers un coin un peu plus sombre mais plutôt tranquille. Elle secoua la tête négativement.

- Le jeu s'appelle ''Chat''. Le but est de trouver la pièce sécurisée dans tout le bâtiment, tout en fuyant la Chose.

- Et que fait la Chose ? demanda-t-elle.

- On ne le sait pas encore.

Ils se tapirent derrière un mur et Aiko put enfin respirer. Ils n'avaient couru qu'une minute et pourtant elle sentait déjà la fatigue venir. Au loin, des coups de feu retentirent.

Chishiya resta silencieux durant le temps de repos et Aiko était trop occupée à récupérer pour voir ce qu'il faisait. ''Mon cœur est vraiment fragile pour succomber à quelques pas de course'', songea-t-elle amèrement.

Lorsqu'elle se sentit un peu mieux, elle leva la tête.

- Alors qu'est-ce qu'on fait ?

Le blond la regardait de son visage neutre, presque effrayant dans l'ombre. Il réfléchissait. ''Il y a peut-être de l'espoir'', se dit Aiko. ''A deux on réussira à ériger un plan pour gagner. Il y a des chances que je ne meure pas ce soir''.

À peine eut-elle laissé échapper cette pensée qu'elle se sentit poussée vers l'arrière. Aiko tenta de se relever mais Chishiya la cloua au sol, une main sur sa bouche. La jeune femme sentit qu'on l'étouffait à la gorge et se débattit.

''On dirait que mon camarade du conseil exécutif essaie de m'étrangler''