7. Dialogue d'échiquier.

207 12 0
                                    

La décision était tombée : à partir de ce jour, refuser de coopérer avec le Chapelier, garder ses cartes de jeu ou quitter la Plage serait considéré comme de la traîtrise condamnable par la mort.

Aiko avait senti le coup venir : elle avait rejoint la Plage peu de temps après sa création et Takeru lui avait à l'époque déjà semblé avide de pouvoir. Désormais, il refusait même qu'on l'appelle par son prénom. Les ambitions dictatoriales du Chapelier ne cessaient de croître, et la jeune femme se demandait jusqu'où iraient-elles.

Par ailleurs, certains membres du conseil partageaient son avis et animaient désormais un débat houleux autour de la table. Si Niragi approuvait la décision du Chapelier, par soif de sang, Ann, Mira, Kuzuruyu et même Aguni manifestaient leur mécontentement. Comme à leur habitude, Aiko et Chishiya restaient en arrière à converser, rappelant leur présence par quelques répliques de temps à autres. A présent que leur alliance avait été conclue officiellement, ils semblaient se sentir plus à l'aise que jamais.

- Joueuse d'échecs, articula le blond avec perplexité. C'est particulier.

- Les échecs sont un monde qui récèlent plus de secrets que les étrangers puissent imaginer. Ce n'est pas qu'un jeu de logique, mais un langage à proprement parler.

- On parle donc bien, aux échecs, ironisa-t-il.

- Avec les pièces, oui, répondit Aiko. L'échiquier est l'espace de parole, comme la salle dans laquelle nous nous trouvons est le nôtre. La manière dont l'adversaire joue est celle dont il va nous aborder. La partie est un dialogue dans lequel l'un souhaite avoir le dessus sur l'autre, comme dans toute relation humaine au final.

Chishiya resta un moment silencieux.

- C'est pour cela que tu en fais ton métier, fit-il d'une voix feutrée. Pour comprendre l'autre.

- Pour interagir avec la part la plus sombre de l'être humain, qui est révélée dans le jeu.

Aiko parlait très sérieusement, une once de passion dans la voix. Les échecs possédaient pour elle une dimension réelle et différente de celle que les gens connaissaient d'ordinaire. Elle vit Chishiya froncer les sourcils.

- Et à ton avis, est-ce que ce monde ressemble aux échecs ? Est-ce qu'il n'y a pas une ressemblance avec une partie de pions, si on regarde l'ensemble ?

C'était une question intéressante. Aiko mit du temps à construire une réponse.

- Ce monde est cruel, fit-elle enfin. Déchirant, peut-être angoissant pour certains. On tente d'y survivre, à en oublier sa véritable beauté : c'est grâce à lui que nous créons des relations fortes et dotées de sens, sans même nous en rendre compte.

Elle faisait notamment allusion à l'alliance naissante avec son interlocuteur.

- Car ces liens sont solides, continua-t-elle. On les noue avec des personnes qui nous correspondent vraiment, au vu des circonstances. Les gens que je côtoie ici, je ne les ai pas rencontrés pendant un cours, en faisant mon footing, ou parce qu'ils étaient dans la même école que moi. Je leur parle parce qu'on a survécu ensemble à des épreuves mortelles. C'est là qu'est la ressemblance avec les échecs : durant un tournoi, les joueurs se parlent et s'apprivoisent. Et quand il y a le feeling, ils commencent à créer un véritable lien, même s'il y a un gagnant et un perdant à la fin de la partie. Le dialogue est unique et véritable, sincère, brut à l'inverse de vagues critères de rencontre que l'on peut expérimenter dehors. Cependant...

Elle cilla.

- Cependant il y a une différence. Entre ce monde et les échecs.

Aiko garda son regard droit devant elle en se permettant un silence.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Mar 26, 2023 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

La dernière carte du jeu (Chishiya)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant