- J'ai entendu quelque chose de curieux aujourd'hui, dit la jeune Alice.
Elle était alors âgée de neuf ans, et elle était une enfant intelligente et aimable, néanmoins, si on s'y attardait (et rares étaient ceux qui le faisaient), la dureté de son cœur se faisait paraître comme les étoiles obstrués par les nuages de la nuit. Elle possédait cette innocence cruelle qui caractérise les jeunes enfants.
- Quoi donc ? répondit Alceste en passant une brosse argenté dans les cheveux soyeux de sa sœur, et sa voix sembla résonner dans l'étrange pièce circulaire.
Il s'agissait d'une tour qui, au lieu de s'élever vers le ciel, se déployait vers le noyau de la terre.
Le plafond était très haut et il n'existait aucune fenêtres ni porte. C'était un endroit totalement reclus avec aucune issu. Alceste avait souvent dit à Alice que cet endroit était à son image, suffocant et étroit.
Mais étrangement magnifique.
Le plancher était fait en marbre noir et blanc, comme un échiquier. La pièce était meublés avec un goût pour les beaux-arts: les canapés étaient de velours cramoisi, les vastes étagères s'étendaient à l'infini sur lesquelles reposaient d'innombrables jouets, peluches et poupées qui semblaient vous fixer, ainsi qu'une grande horloge dont les aiguilles étaient figées à la même heure : 3h15.
- On dit que les gens naissent seuls et meurent seuls, affirma la jeune Alice.
Alceste fronça les sourcils. C'était une idée curieuse, en effet.
- Pas nous, lui répondit-elle.
- Pas nous, répéta Alice.Lacie resta plantée là un instant, incapable de réagir. Alceste la narguait d'un sourire démoniaque et elle décrivit un lent cercle autour d'elle, comme un vautour lorgnant sa proie.
- Eh bien, eh bien, susurra Alceste. Tu es contente de me voir, soeurette ? fit-elle avec un large sourire.
Sa voix était aussi claire et cristalline que dans les souvenirs de Lacie. Cette dernière se mordit les lèvres avec une sorte de frustration et releva le menton, défiante.
- Comment peux-tu être ici ? cracha-t-elle. Je t'ai vu à l'hôpital, tu étais...
- Plongée dans un sommeil permanent ? La coupa-t-elle en haussant un sourcil, examinant ses ongles. Enfin Alice, tu es sensée être intelligente.
Lacie grinça des dents à l'usage de son ancien nom. Alceste le remarqua.
- Qu'y a-t-il ? dit-elle d'un ton innocent. De vieux souvenirs remontent à la surface ? Et bien, toi comme moi, darling.
Lacie était déterminée à ne pas se laisser impressionner.
- Qui t'a jeté le sortilège du sommeil ? tonna-t-elle.
Alceste fit mine de compter sur ses doigts.
- Hmm, qui ? Voyons voir... Tu es la première à avoir eu ce privilège, si je me souviens bien, dit-elle d'un ton glacé comme une morsure. Bien entendu, le sortilège que tu as lancé avec l'aide de tes amies les fées n'aurait pas pu me retenir indéfiniment. Mais tu faisais allusion au second sortilège, n'est-ce pas ?
Lacie hocha la tête avec un regard noir. Alceste eut un rire.
- Je suppose que je pourrais te révéler qui es derrière cela... fit-elle en se délectant de chacun de ses mots, mais à vrai dire... Ce ne serait pas aussi amusant que de te voir le découvrir par toi-même ! éclata-elle de rire. Et puis, tu le sauras bien assez tôt. Car maintenant qu'il s'est occupé de moi, c'est à toi qu'il s'attaquera.
La jeune fille soupira. Bien sur, à quoi s'était-elle attendu ? Alceste serait la dernière personne à bien vouloir l'aider.
Mais la question continuait à la tarauder. Qui avait jeté le sortilège à Alceste ? S'agissait-il d'un allié dans la quête de Lacie, ou comme sa sœur l'avait laissé entendre, un ennemi encore plus redoutable ?
- Rien de tout cela n'est sensé... murmura Lacie.
- Tu recommences, fit-elle avec un amusement teinté de lassitude. Toujours à tenter de trouver un sens aux choses, même quand il n'y en a pas. Est-ce la raison pour laquelle tu as quitté Wonderland ? Tu ne pouvais pas supporter le fait que le Pays des Merveilles était un reflet de ta propre folie ?
- Et toi, Alceste? lança Lacie. Toujours à jouer les mêmes jeux, et utiliser les même vieux tours pour me tourmenter ? Ces cents ans de sommeil ne t'ont pas réussi à ce que je vois, sauf que je ne suis plus la même petite fille que tu pouvais effrayer aussi facilement.
- Oh, tu es sure de ça ? répliqua Alceste avec un danger nouveau dans la voix. Pourtant, il me semble que tu n'as pas changé d'un poil. Regarde toi: les mêmes vieilles habitudes, les mêmes blessures qui continuent à te hanter... Tu retombes amoureuse du même garçon et tu places ta confiance en des personnes qui te décevront, une fois encore... Oui, cela m'a tout l'air de la bonne vieille Alice Liddell ! s'exclama la Reine avec un sourire satisfait.
- N'essaie pas de me faire douter de moi, tonna Lacie. Ça ne fonctionnera pas. Pas cette fois.
Alceste éclata de rire comme s'il s'agissait de la chose la plus ridicule qu'elle n'ait jamais entendu.
- Je n'essaie rien du tout, Alice, sussura-t-elle d'une voix mielleuse. Tu t'en sors très bien toute seule.
Et sous les yeux de Lacie, Alceste disparu comme un nuage de fumée, mais son large sourire sembla rester suspendu un instant dans les airs avant de se dissiper complètement.
Lacie recula de quelques pas en parcourant ses yeux le long de la pièce, interloquée.
- Derrière toi, souffla Alceste tout près de l'oreille de Lacie.
Elle bondit, mais le temps de se retourner, et l'ancienne Reine de Wonderland avait à nouveau disparu. Son rire malicieux résonna dans la pièce.
- Montre-toi ! cria Lacie.
- Si c'est ce que tu veux, laissa tomber Alceste.
Lacie fit volte-face: la silhouette élancé de sa soeur se découpa devant la large fenêtre. Elle tournoya sa main et Lacie vit jaillir une flamme bleue dans la paume d'Alceste.
- Lorsque nous étions petites, nous nous amusions à prétendre posséder des pouvoirs magiques, tu te souviens ? fit Alceste.
Lacie avait reculé, ses muscles se tendirent. Alceste contempla la flamme de sa paume et continua:
- Nous avons fait beaucoup de chemin, depuis, décréta-t-elle.
À peine après avoir fini sa phrase, Alceste, d'un mouvement leste, sans le moindre effort, propulsa la flamme en direction de Lacie.
Celle-ci ne réfléchit pas, son corps sembla réagir de lui-même. Elle s'empara d'un épais grimoire qui trônait sur le bureau et le brandit comme un bouclier. La flamme l'engloutit en quelques secondes. Lacie lâcha le bouquin avant que le feu lui lèche les mains, et il se répandit en cendre sur le sol. Elle eut tout juste le temps de plonger sur le sol avant qu'une nouvelle flamme envoyée par Alceste ne la manque d'un cheveux.
- Qu'y a-t-il ? nargua Alceste. Tu n'es pas de taille ?
- Tu es complètement cinglée ! hurla Lacie, le visage rouge, peinant à respirer.
- Je suis cinglée ? répéta Alceste avec un rire. Tu n'arrives même pas à distinguer les rêves de la réalité.
Lacie ne s'attarda pas sur ce qu'elle venait de dire, elle avait des soucis plus urgents. Les flammes d'Alceste qui l'avaient manqué quelques instants plus tôt avait dévoré les étagères de livres qui menaçaient de s'écrouler. Bientôt, la pièce entière serait engloutie par le feu. Elle devait sortir d'ici, avant d'y laisser sa peau.
La fumée avait emplie la pièce, donnant une densité insoutenable à l'atmosphère. Ses yeux et sa gorge lui piquaient, elle avait du mal à respirer.
Elle se fraya un chemin, chancelante, vers l'unique porte de la pièce et s'empara de la poigné, mais celle-ci lui brûla les mains. Lacie lâcha un cri, arrachant sa main au métal de la poigné qui avait fondu sur elle. Ses paumes étaient rouges vif, parsemées de cloques, calcinées par endroit, et une large portion de sa peau étaient restée collée sur la poignet. Elle hoqueta un sanglot.
- Tu pars déjà ? entendit Lacie à travers la fumée épaisse. C'est tout ce que tu as jamais été capable de faire, n'est-ce pas ? Fuir.
Alceste n'était plus qu'une silhouette fulminante au milieu de la fumée. Lacie ignorait quoi faire. Elle ne pouvait plus respirer. Elle cogna la porte, donna des coup d'épaule jusqu'à s'en briser les os, en vain.
- Tu as fuis Neverland, persifla Alceste, tu as fuis la seule personne qui t'ait jamais aimé, et aujourd'hui encore tu perpétues cette mauvaise habitude. Ne soit pas surprise le jour où tu finiras seule.
- La ferme ! hurla Lacie. La ferme ! La ferme !
Elle entendit un fracassement puis releva une dernière fois les yeux. Une des étagères avait cédé et s'écroulait avec une lenteur qui lui sembla insoutenable. La jeune fille allait être écrasé dans un ammas de grimoire et de bois crépitant, elle allait finir en brasier.
Lacie s'acharna sur la porte, frappait, criait... Mais c'était inutile. La mort était inéluctable à présent. Elle plaça ses bras devant son visage, attendant l'inévitable...
C'est alors qu'un miracle se produisit: les portes s'ouvrirent de l'extérieur et de larges mains l'attrapèrent avant qu'elle n'atterrisse sur le sol. Les portes se refermèrent derrière elle avec un lourd fracas.
Lacie prit une grande bouffée d'air, se délectant de la pureté de l'atmosphère, puis releva la tête pour croiser le regard inquiet de Devon. Elle n'avait jamais été aussi heureuse de le voir.
- Oh merci Seigneur, Devon ! haleta-t-elle. Nous devons sortir d'ici sur-le-champs !
- Que diable se passe-t-il ? s'écria-t-il.
- Il s'agit d'Alceste, expliqua-t-elle précipitemment, elle a tenté de me tuer ! Oh Devon, nous devons sortir d'ici avant que le feu ne s'étende et...
- Lacie, lui intima-t-il, vous devez d'abord vous calmer...
- Non ! cria-t-elle en tentant de se dégager de l'emprise de Devon. Alceste est ici !
- C'est impossible, continua-t-il d'une voix d'un calme horripilant. Alceste est sous l'emprise du sortilège du sommeil, vous vous souvenez ? Nous l'avons vu à l'hopital pas plus tard qu'hier...
La jeune fille avait envie d'éclater en sanglots. Pourquoi Devon ne l'écoutait-il pas ?
Elle pensa furtivement à ce qu'Alceste avait dit. «Tu places ta confiance en des personnes qui te décevront...»
- Elle a du trouver un moyen de briser le sortilège ! répliqua Lacie. Devon, laissez moi partir !
Mais Devon refusait de la lâcher.
- Pas dans cet état, dit-il d'un ton catégorique.
- Devon, si vous refusez de m'écouter, on finira en brasier ! La bibliothèque entière est en feu !
- Je ne sens pas de fumée, répondit-il calmement, ne la lâchant pas du regard.
Lacie ouvrit la bouche pour protester, puis réalisa qu'il avait raison.
- Mes mains, haleta-t-elle en brandissant ses paumes brulés au deuxième degré. Regardez mes mains !
Cette fois-ci, Devon allait être forcé de la croire.
Cependant, il ne fit que baisser rapidement les yeux vers les blessures de Lacie avec impassibilité. Il les releva vers elle et elle cru déceler une certaine douceur empreinte de pitié dans son regard noisette.
- Lacie... fit-il, vos mains sont intactes.
- Qu-quoi ? croassa-t-elle.
Elle baissa les yeux vers ses paumes et éttouffa une exclamation stupéfaite. Il n'y avait pas la moindre trace de brûlure, ou même de boursouflures. La peau de ses mains était lisse et de leur habituelle couleur rose pâle, et quelques veines bleues se faisaient voir à travers sa peau transclucide. Elle plia et déplia ses doigts, un peu groggy.
- Je ne comprends pas... dit-elle faiblement.
Devon avait libéré ses poignets avec délicatesse, comme s'il avait peur qu'elle ne s'effondre, et l'observait avec anticipation.
Lacie se redressa et se retourna vers les doubles portes en chêne. Elle sembla hésiter, puis respira un grand coup avant de les ouvrir d'un coup sec.
La bibliothèque était exactement dans le même état que plus tôt dans la matiné. Les étagères de livres étaient intactes, une pile de grimoire gisait sur le bureau, juste à côté du cardigan rouge qu'elle avait déposé. Il n'y avait pas la moindre trace d'Alceste, ou d'une incendie.
Elle en resta stupéfaite.
- Comment est-ce possible ? souffla-t-elle.
- Lacie, commença Devon en l'entrainant vers lui par le bras. Je crois que vous avez besoin de repos.• . • . • . • . • . • . • . • . • . • . • . • . •
- Buvez cela, dit Devon en lui tendant une tasse d'une boisson chaude.
Ils étaient de retour dans l'appartement des Mille et une Nuit, Devon avait catégoriquement refusé que Lacie passe une nuit seule dans la demeure d'Alceste, et après toutes ces émotions fortes, Lacie n'avait pas insisté davantage.
Il avait déposé une couverture sur les épaules de Lacie, et un petit feu grésillait dans la cheminée.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle.
- Une tisane, répondit-il, vous devez dormir, Lacie, insista-t-il en la voyant secouer la tête.
Mais Lacie avait détourner la tête, refusant d'accepter la tasse que lui tendait Devon. Il soupira. Elle pouvait se montrer têtue quand elle le voulait. Il prit place à côté d'elle.
- Je sais pourquoi vous refusez de dormir, dit-il en fixant le feu de la cheminée.
La jeune fille lui jeta un petit regard, et Devon reprit en la regardant dans les yeux.
- Vous êtes effrayée à l'idée qu'Alceste puisse pénétrer vos rêves à nouveau, n'est-ce pas ?
- Je...
Lacie détourna la tête et ferma les yeux, incapable de répondre.
- Combien de temps pensiez-vous pouvoir tenir, Lacie ? continua Devon.
Lacie crispa ses doigts sur les couvertures, refusant toujours de regarder le chapelier. Il était comme la voix de la raison qui exposait sa naïveté, sa stupidité, et ça lui était insoutenable.
Elle repensa à ce qu'Alceste avait dit. «Tu n'as pas changé d'un poil. »
Était-ce vraiment le cas ? L'idée en était presque terrifiante. Lacie avait toujours été en quête de la personne qu'elle voulait devenir, et tout juste lorsqu'elle pensait avoir triomphé, elle se voyait être ramenée à sa case départ: une petite fille psychologiquement fragile qui maniait l'art de se créer une façade trop parfaitement. Si parfaitement qu'elle arrivait souvent à s'en persuader elle-même. Pour preuve, depuis qu'elle avait quitté le pays des Merveilles, sa vie n'était plus qu'un cercle vicieux de prétendre être heureuse en pleine solitude. (L'idée la taraudait que quitter Wonderland n'avait peut-être pas été une bonne décision, mais admettre ses propres erreurs pouvait être si dure.)
Devon arrivait à fissurer cette façade et à exposer l'être mal au point qui se réfugiait derrière. Lacie n'avait pas encore décidé s'il s'agissait d'une bonne chose ou non.
- J'avais souhaité pouvoir trouver une solution, avoua-t-elle finalement.
Devon l'observa un instant, puis déposa sa main sur la sienne.
- Nous en trouverons une, lui dit-il avec conviction. Ensemble.
Lorsque Lacie leva les yeux vers lui, il lui sourit avec une sincérité déchirante.
- Mais pour cela, continua-t-il, il vous faut d'abord une bonne nuit de sommeil, eh ?
Il lui retendît la tasse, et cette fois, Lacie l'accepta. Elle but quelques gorgées avant de prendre la parole d'une voix faible.
- Il y'a quelque chose à propos d'Alceste que vous devriez savoir.
Devon haussa un sourcil.
- Je vous écoute.
VOUS LISEZ
Once Upon a Dreamland
ParanormalDisclaimer: Histoire originale inspirée de l'émission Once Upon a Time Toutes jeunes femmes doivent un jour ou l'autre abandonner leur Pays des Merveilles, et Lacie s'était juré de ne jamais y remettre les pieds. Elle ne se doutait pas que le Pays d...